– La
plupart des intellectuels comme de larges pans du public cultivé avaient lu les
Ecrits à l’époque de leur parution.
Aujourd’hui, le contexte est différent. Selon vous, qui lira ces Autres écrits ?
– Il n’est
pas si sûr qu’on ait tant lu les Ecrits
à l’époque. On les a achetés, c’est différent. On lit bien davantage Lacan
aujourd’hui, et j’y suis pour quelque chose. Les Autres écrits toucheront d’abord, je le crois, la « génération de 1968 ». D’autre part, il n’est pas un analyste
qui ne voudra lire ou relire ces textes de Lacan, puisque personne ne l’a
supplanté. Et puis ce livre s’adresse aussi à tout le monde, et là, c’est une
bouteille à la mer : impossible de savoir à l’avance qui va rencontrer ce
volume. C’est ce qui fait l’intérêt du moment. L’occasion du centenaire donne à
ces Autres écrits une trouée vers le
public, alors qu’en temps ordinaire ce serait obstrué. Lacan pensait qu’au
moment où la psychanalyse aurait rendu les armes devant les impasses de la
civilisation, on se reporterait à ses écrits. C’est peut-être une raison pour
penser que ces Autres écrits viennent
à leur heure.
– Vingt
ans après sa mort, nous ne disposons toujours pas du corpus lacanien dans son
ensemble. Faut-il analyser ce délai comme une résistance du discours lacanien
lui-même à faire « œuvre
» ?
– Oui,
le « corpus
» lacanien ! Eh bien, il
remue encore ! Plus profondément, je crois qu’il y a quelque chose de Lacan et
de la psychanalyse elle-même qui reste en souffrance, qui n’a pas trouvé sa
destination. Et cet « en
souffrance » trouve
à s’exprimer par exemple dans la sommation que les Séminaires soient tous
publiés, et fissa, comme dit le juge de Plantu, ce qui leur donne un petit air
de « lettre
volée ». Ses
Séminaires ont longtemps embarrassé Lacan, il les a laissés vingt ans sans en
autoriser aucune publication, et on aurait pu imaginer qu’ils soient divulgués
comme des documents d’archives. Nombre de ses élèves s’y sont cassé les dents,
c’est ma façon de faire qu’il a aimée, celle que j’ai inventée pour répondre à
son défi. J’aurais été ravi de le convaincre d’en distribuer le labeur, mais il
n’y a rien eu à faire ! Il m’a voulu pour coauteur, il m’en a donné le statut.
Il faut donc penser que ce n’était pas son idée qu’on en finisse si vite.
Au reste, vous n’avez pas un corpus, vous en avez plusieurs ! Le signifiant a ses voies propres. Vous savez bien que l’on pirate, que des sténographies, des notes, circulent dans de multiples versions. Loin de le déplorer, j’y applaudis, tant que cela reste d’ordre scientifique. Et dès lors qu’il n’y a pas d’acte de commerce, pas de dépôt légal, et que cela permet aux chercheurs de s’y reporter, vous remarquerez que Le Seuil n’intervient pas. Il reste que, conformément aux dispositions prises par Lacan, il y a un seul éditeur, un seul contrat d’édition, une seule publication autorisée. Il suffit que chacun connaisse son registre.
–
Aujourd’hui, d’ailleurs, beaucoup de jeunes praticiens se disent d’abord
analystes avant de se dire « freudiens » ou « lacaniens
». Après des années de
violence autour du nom de Lacan, va-t-on vers une pacification ?
– Dans
quelques jours, dans cette capitale de la psychanalyse qu’est Buenos Aires, se
tiendra un grand colloque d’hommage à Lacan, où voisineront des représentants
de l’Association mondiale de psychanalyse, que j’ai fondée, des membres de ce
que j’appelle la « nébuleuse
» lacanienne, et un
ancien président de l’Association internationale de psychanalyse. C’est vous
dire que la civilité a été rétablie. Du moins sous ces latitudes, car il faudra
sans doute quelque temps pour que cela advienne ailleurs. Il y a des querelles
qui datent, des anathèmes désuets, et il est bien possible que ces Autres écrits soient mieux reçus de
jeunes qui n’ont pas été les élèves de Lacan que des anciens qui y revivront
une partie de leur propre trajectoire, et où Lacan se manifeste non seulement
comme leur maître mais comme leur fléau.
–
Vous-même, vous continuez de subir certaines critiques concernant les
Séminaires, leurs délais de publication et surtout leur mode d’établissement.
– Cette
antienne dure depuis vingt ans. Les plus impatients de me voir rédiger les
Séminaires au Seuil sont aussi les plus mécontents une fois qu’ils les ont ! En
fait, il y a là, pour une part, une cabale des dévots, et puis une
revendication éternisée que rien n’apaisera jamais, et qui s’adresse plus à
Lacan qu’à moi-même. Je reste dans la même ligne, y compris dans le fait de
livrer le texte nu, sans appareil critique. Ma façon de faire avait été saluée
dans Le Monde en 1973 par un grand
article d’Octave Mannoni, elle n’a pas changé depuis. Vous verrez paraître en
juin la seconde édition corrigée d’un Séminaire (livre VIII : Le Transfert). La parole de Lacan garde
une présence active, vivante, sa puissance est là, même si elle est plus
secrète que jadis. L’heure n’est pas venue pour elle d’être réduite au statut
de document. Les notes en bas de page attendront.
以上は,Lacan の生誕100周年を記念するために彼の Autres écrits が2001年に出版された機会に為された Jacques-Alain Miller への Le Monde によるインタヴューです.
そこにおいて Jacques-Alain Miller が言及している Octave Mannoni の1973年のテクストは Le Monde の site に見つけることはできませんでした.代わりに,Le Monde で精神分析関係の記事の総責任者をしていた Roland Jaccard に宛てて Octave Mannoni が1981年12月9日付で書いた書簡を Jaccard が公開しているのを見つけました.そこにおいて Mannoni は,当時出版されたばかりの Le Séminaire III Les psychoses の Miller 版テクストに見出される多くの誤りを指摘しています.Miller は実際とは正反対のことを Lacan に言わせている,と Mannoni は批判しています.
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