Réponse aux « six
paradigmes de la jouissance » de Jacques-Alain MILLER, par Patrick VALAS. La Troisième, le 5 juillet 2014.
« Au
fond, je me suis toujours opposé à cette façon millérienne de saucissonner l’enseignement
de Lacan selon la diachronie de son déroulement, tellement la synchronie de ses
avancées selon les veines de la structure ont été inaperçues de lui. Là où il
parlait de contradictions dans les termes de Lacan, il a très tardivement
compris qu’il s’agissait de paradoxes, que l’usage de la topologie permet de
saisir facilement. Pourtant Lacan a introduit très tôt la bande de Möbius et le
tore dans son enseignement, dès le Discours
de Rome en 1953. S’agissant de l’inconscient, une simple bande de Möbius
peut en figurer la structure : en effet, l’envers et l’endroit ne sont pas en
contradiction (diachronie) mais liés paradoxalement selon la synchronie.
Il faut dire que
Miller se vantait naguère que personne ne pouvait ‹ comprendre › Lacan, tant que lui-même n’y avait pas
mis de sa patte. C’est ainsi qu’il a décidé de publier les séminaires de Lacan
selon le calendrier de cette conception typique du discours universitaire – faut-il le souligner ? Il alimentait son
cours par le texte de Lacan dont la plupart de ceux qui le suivaient ne
disposaient pas, où plutôt ne voulaient pas se les procurer, alors que dès 1980
ils étaient tous accessibles. Ils avaient peur d’être fourvoyés, Miller les
ravalant comme étant truffés d’erreurs, alors qu’il s’agissait de
transcriptions originales de Lacan (souvent annotées de sa main) que celui-ci
prêtait à ceux qui le lui demandaient pour en faire des photocopies.
Bref ! Les élèves
de Miller lui ont été – et le
sont encore – d’une
fidélité quasi-canine ; d’où s’explique un mode de diffusion politicienne de la
psychanalyse, caractéristique de la nébuleuse millérienne internationale nommée
‹ Champ Freudien ›. Il a donc imposé de force sa conception
de la chose pendant 20 ans à l’École de la Cause Freudienne qu’il avait fondée
en faisant croire à ses membres que son fondateur en était Lacan. Tardivement,
il a fini tout de même par dire qu’il s’agissait de lui. Cela a eu des
conséquences désastreuses, dont la plus importante à mes yeux est impardonnable
car elle concerne le passage de l’analysant au devenir analyste par l’émergence
pour le sujet d’un désir inédit, inouï : le désir du psychanalyste.
En effet, Lacan
avait inventé une procédure de la passe parce qu’il voulait savoir ce qu’il
pouvait bien se passer dans la tête de quelqu’un pour vouloir être
psychanalyste après avoir fait une analyse. Il avançait que ceux qui le décident
y viennent comme une ‹ boule
dans un jeu de trictrac ›. Au
fond, il livrait ainsi la passe aux plus extrêmes aléas, comme il pouvait dire
dans sa Télévision que ‹ tout est livré chez l’homme à la fortune ›, autrement dit : au hasard, lequel n’est pas
sans loi, mais c’est une loi sans intention. Lacan ouvrait donc là la page
blanche d’un ‹ espace
vectoriel › qu’il
s’agissait de parcourir par la pratique institutionnelle de cette procédure de
la passe, avant de commencer à griffonner les premières lettres d’un réel
nouveau qui pouvait peut-être ‹ cesser de ne plus s’écrire › comme impossible.
Lacan avait
donné, auparavant, quelques coordonnées épistémiques de ce moment de la
structure qu’il a qualifié une seule fois de ‹ traversée du fantasme ›. C’est un hapax. Mais Miller – l’as du mathème à tout va – en a fait son cheval de bataille, selon
son slogan fétiche : l’Orientation Lacanienne, pour organiser la nouvelle
procédure de la passe mise en fonction dans son École de la Cause Freudienne.
Tout ceux qui dérogeaient à ce dogme – la règle dans ce groupe pendant 20 ans – étaient immédiatement rejetés, calomniés,
mis à l’index, etc., bref, traités de noms d’oiseaux diversement colorés et
valables, l’humour en moins. Certains nouveaux impétrants allèrent même jusqu’à
répéter chez Miller ce qu’ils devaient dire à leurs passeurs qui
transmettraient au cartel-jury leurs propos pour décider s’ils étaient reçus ou
collés. Avec les conséquences institutionnelles que l’on sait : ruptures,
scissions, tout ce que l’on désigne avec pudeur ‹ querelles de chapelles ›. D’ailleurs, comment pourrait-il en être
autrement puisque nous sommes des ‹ épars désassortis ›? Et
pourtant, Lacan avait bien écrit que la passe n’était pas pour tous et que
personne n’y était obligé.
Très tardivement,
vers la fin du 20e siècle, il semble que Miller se soit quand même aperçu que
la passe n’était pas du tout identique à celle qu’il avait gravé dans le marbre
de ses élucubrations, et même qu’on pouvait en trouver quelques traces dans l’enseignement
de Lacan. Mais seulement, voilà ! Rebelote ! C’est vrai que dans la répétition
on ne répète pas la même connerie, mais cela n’empêche pas que cette nouvelle
connerie soit parfois pire que la précédente. En effet, Miller, à partir de la
Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI (mai 1976 ; cf. Autres Écrits ;
Seuil, pp. 571-573), fait l’invention d’un nouvel inconscient : ‹ l’inconscient réel ›, qui serait inanalysable,
non-transférentiel (sic, Miller !), et qui se distinguerait de celui qui est
analysable, l’inconscient de Freud, transférentiel (re-sic, Miller !). Nous
voilà donc ainsi affligés de deux inconscients ; comme si le savoir d’un seul n’était
pas assez emmerdant comme ça !
Tout cela m’épuise.
Quelqu’un ne voudrait-il pas prendre le relais et aller y jeter un coup d’œil ? »
"En fait, c'est un pari, c'est aussi un défi, que j'ai soutenu. Je le laisse livré aux plus extrêmes aléas. Dans tout ce que j'ai pu dire, quelques formules heureuses, peut-être surnageront. Tout est livré dans l'être humain à la fortune."
返信削除Ce n'est pas dans Télévision mais dans un entretien radiophonique entre Nadine Nimier et Jacques Lacan rediffusé par France Culture dans une émission de Christine Goémé. :)