2021年9月9日

Vous avez dit « le dernier enseignement de Lacan » ?

Jacques Lacan, né le 13 avril 1901 à Paris et mort le 9 septembre 1981 à Paris

Vous avez dit « le dernier enseignement de Lacan » ?


Quelques remarques critiques contre Jacques-Alain Miller en guise de commémoration du 40ème anniversaire de la mort de Jacques Lacan




Aujourd’hui, le 9 septembre 2021, nous commémorons le 40ème anniversaire de la mort de Jacques Lacan, ce grand refondateur de la psychanalyse.

Oui, si le fondateur de la psychanalyse est Freud, je dis que Lacan en est le refondateur. C’est que tout son enseignement est destiné à fonder la psychanalyse de façon pure, c’est-à-dire non empirique et non métaphysique, et ce pour déterminer ce qu’est l’ « être psychanalyste » (je barre le mot « être » comme Lacan barre le mot « sujet » pour inventer son mathème $ suivant l’exemple de Heidegger qui barre le mot « Sein » (être) pour écrire « Sein » [ cf. Zur Seinsfrage ] dans l’intention de « détruire l’histoire de l’ontologie » [ cf. Sein und Zeit ] ), pour autant que cet « être psychanalyste » que Lacan appelle « désir de l’analyste » est l’alpha et l’oméga de la psychanalyse, c’est-à-dire la condition de la possibilité de la psychanalyse et ce qui naîtra à la fin de l’expérience analytique.

Comme presque tous les lacaniens sérieux dans le monde qui ont, disons, moins de 70 ans aujourd’hui, j’ai tout appris de Jacques-Alain Miller en ce qui concerne comment lire Lacan. À l’époque où j’étais étudiant du troisième cycle du Département de Psychanalyse de l’Université de Paris VIII, c’est-à-dire en 1986-1988, Jacques-Alain Miller appelait sa méthodologie « à la Champollion » d’après le nom de celui qui avait réussi le premier au déchiffrage des hiéroglyphes. Et il nous montrait et démontrait comment pratiquer cette méthodologie de déchiffrage des textes lacaniens dans toutes les occasions où il nous parlait, c’est-à-dire dans ses cours, dans ses séminaires et dans ses exposés faits dans des réunions diverses. Comme c’était fascinant et convainquant !

Donc, en ce qui concerne comment lire Lacan, je me reconnais volontiers disciple fidèle de Jacques-Alain Miller. Mais, en ce qui concerne l’interprétation de l’enseignement de Lacan, je me suis écarté de lui. Pourquoi ? À cause de sa conception du « dernier enseignement de Lacan » dont il dit que cela a commencé au Séminaire XX (1972-1973) Encore.

Maintenant tout le monde parle d’après Jacques-Alain Miller du « dernier enseignement de Lacan », voire du « tout dernier enseignement de Lacan ». Mais je dis : non, cela n’est que son invention à lui.

Vous seriez certainement étonnés d’entendre une telle critique contre lui, puisque maintenant tout le monde croit que son Lacan – le Lacan présenté par Jacques-Alain Miller – est le vrai Lacan. Mais non. Je vous en donne un exemple – un exemple d’erreurs pas anodin du tout.

Dans la séance du 31 janvier 2001 de son cours intitulé « Le lieu et le lien » (2000-2001), Jacques-Alain Miller dit ceci :

Je retrouve ça, que j’avais souligné, il n’y a pas longtemps, dans Encore, chapitre VIII, page 85, la phrase qui dit que « le réel ne saurait s’inscrire que d’une impasse de la formalisation ». Cela pourrait faire croire que l’on va ailleurs par là, que l’on sort par là du symbolique. Mais, tel que je m’efforce de vous y amener pas à pas, cela veut dire tout autre chose.

Dans cette définition-là du réel qui donnerait la clé de la fin de l’analyse, le symbolique domine, le réel entendu ainsi est conditionné par la mise en forme, par la formalisation de la signifiance, par la formalisation du rapport signifiant/signifié, et la formalisation algorithmique du signifiant et du signifié.

Est-ce que cela permet de dire que l’on accède au réel par cette voie ? Est-ce que même ça permet de dire que par cette voie on accède au réel à partir du symbolique ?

Est-ce que ça ne serait pas plutôt le contraire ?

C’est là que l’on s’aperçoit que, dans Encore, dans le mouvement même où il définit le réel par l’impasse de la formalisation, Lacan dit – ce qui ne trouve sa place que maintenant – que par là « le réel accède au symbolique ». Il ne dit pas du tout que par la voie de l’impasse le symbolique accède au réel. Il dit bizarrement, parce que rien ne l’explique, que c’est bien plutôt par là que « le réel accède au symbolique ».

Vous le lirez, page 86 : « les limites, les points d’impasse, de sans-issue, qui montrent le réel accédant au symbolique ».

Eh bien, ce n’est pas la même chose que de dire que ça montre le symbolique accédant au réel. C’est déjà impliquer que ça constitue en fait une réduction symbolisante du réel.

Certes, dans le texte établi par Jacques-Alain Miller du Séminaire Encore, il est écrit à la page 86 (la séance du 20 mars 1973) : « les limites, les points d’impasse, de sans-issue, qui montrent le réel accédant au symbolique ».

Mais, dans le texte établi par le groupe Staferla, que lit-on ?

D’abord, Lacan dit que « le réel ne saurait s’inscrire d’une impasse de la formalisation » – il s’agit de la formalisation de la logique symbolique où un système propositionnel est écrit de symboles ou de signes sans aucun sens. Et puis, il compare ce système symbolique à un réseau (ce mot « réseau » est omis dans le texte millérien) et à la toile d’araignée. Un rets et une toile d’araignée, c’est une structure qui peut attraper et retenir en elle un objet de convoitise (un objet a, un ἄγαλμα). Et Lacan dit enfin que cette toile d’araignée se supporte « en ce point opaque, de cet étrange être – les par-êtres [ para-être, c’est-à-dire παρουσία ] – de la surface elle-même, celle qui nous permet le dessin qui la trace de ces écrits qui sont, enfin, le seul point où nous trouvions saisissables ces limites, ces points d’impasse, de sans-issue, qui – le réel – le font entendre comme s’accédant du symbolique à son point le plus extrême ». On peut vérifier ce que Lacan dit effectivement en écoutant l’enregistrement sonore du Séminaire Encore publié dans le site de notre ami Patrick Valas.

Ainsi Lacan nous évoque l’image d’une structure ou d’une topologie de la surface qui comporte comme son noyau une localité ex-time et ex-sistente du réel en tant qu’impossible.

Certes, cette expression de « s’accéder » est bizarre puisque ordinairement le verbe « accéder » ne prend pas de complément d’objet direct, mais néanmoins on peut entendre ce que Lacan veut dire : on peut accéder par le réseau symbolique au point le plus extrême du réel.

Ainsi, nous pouvons constater que Jacques-Alain Miller fait dire à Lacan tout le contraire de ce qu’il a effectivement dit. Et cette lecture erronée du Séminaire Encore est assez grave puisque c’est à partir de là qu’il construit sa conception du « dernier enseignement de Lacan ».

En plus, aussi dans son cours « Le lieu et le lien », Jacques-Alain Miller est allé jusqu’à dire ceci : que le réel dont il s’agit dans la topologie du nœud borroméen n’est qu’un « faux réel ».

Mais non. Il n’y a pas de « faux réel » dans l’enseignement de Lacan. Seulement il nous faut y distinguer deux définitions du réel : 

1) le réel en tant que ce qui revient toujours à la même place, c’est-à-dire ce qui ne cesse pas de s’écrire, c’est-à-dire le nécessaire ; 

2) le réel en tant que ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire, c’est-à-dire l’impossible.

Et ces deux définitions du réel trouvent leurs places dans les quatre discours : le réel en tant qu’impossible se situe dans la place de la production (en bas à droite), tandis que le réel en tant que nécessaire dans la place de l’autre (en haut à droite).

D’ailleurs, la place de l’agent (en haut à gauche) est celle de l’imaginaire en tant que consistance, et la place de la vérité (en bas à gauche) celle du symbolique en tant que trou ou différence.



Cette structure tétradique, nous pouvons la retrouver dès le premier paragraphe de la première page du premier article des Écrits de Lacan, Le séminaire sur « La Lettre volée » (p.11) :

Notre recherche nous a mené à ce point de reconnaître que l’automatisme de répétition (Wiederholungszwang) prend son principe dans ce que nous avons appelé l’insistance de la chaîne signifiante [ c’est-à-dire ce qui ne cesse pas de s’écrire ]. Cette notion elle-même, nous l’avons dégagée comme corrélative de l’ex-sistence (soit : de la place excentrique) où il nous faut situer le sujet de l’inconscient [ c’est-à-dire ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire ], si nous devons prendre au sérieux la découverte de Freud. C’est, on le sait, dans l’expérience inaugurée par la psychanalyse qu’on peut saisir par quels biais de l’imaginaire vient à s’exercer, jusqu’au plus intime de l’organisme humain, cette prise du symbolique.

C’est-à-dire la structure dont il s’agit dans l’enseignement de Lacan est tétradique, non pas triadique, comme nous le montre clairement le nœud borroméen à quatre ronds de ficelle présenté dans le Séminaire XXIII (1975-1976) Le sinthome.


Ce nœud-là consiste dans le rond du réel R (l’ex-sistence), celui du symbolique S (le trou ou la différence), celui de l’imaginaire I (la consistance) et celui du sinthome Σ (la nodalité ou la nomination) qui noue les trois autres de façon borroméenne.

L’ex-sistence est la définition que Lacan nous donne dans le Séminaire XXII (1974-1975) R.S.I. du réel en tant que ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire, c’est-à-dire l’impossible, tandis la nodalité (ce terme étant utilisé par Lacan dans le Séminaire XXI [1973-1974] Les non-dupes errent) et la nomination (ce terme étant utilisé par Lacan dans le Séminaire XXII [1974-1975] R.S.I. et dans le Séminaire XXIII [1975-1976] Le sinthome) sont les définitions du réel en tant que ce qui ne cesse pas de s’écrire, c’est-à-dire le nécessaire.

L’erreur la plus fondamentale que Jacques-Alain Miller ait commise concernant l’interprétation de l’enseignement de Lacan, c’est, me semble-t-il, sa méconnaissance de l’importance du penser de Heidegger pour Lacan.

Dans son cours intitulé La clinique lacanienne (1981-1982), Jacques-Alain Miller nous parle du point et du levier d’Archimède dont Lacan se servait pour ébranler la psychanalyse qui avait l’air d’être une théorie bien établie qu’on appelait ego psychology. Cette remarque est très juste. On peut en énumérer beaucoup : le stade du miroir (Henri Wallon), l’anthropologie et la linguistique structurales (Saussure, Lévi-Strauss et Jakobson), diverses créations artistiques de littérature et de beaux-arts, la logique mathématique, les topologies de surfaces closes et de nœud borroméen, les théologies chrétienne et judaïque (surtout la mystique et la théologie apophatique) et la philosophie, surtout Hegel et... Heidegger.

En effet, Lacan cite maintes fois le nom de Heidegger et sa terminologie (par exemple, comme nous l’avons vu, l’ex-sistence). Il l’a invité dans sa maison de campagne à Guitrancourt au mois d’août en 1955, lors de la première visite du philosophe en France pour une conférence à Cerisy-la-Salle, et il l’a visité au mois d’avril en 1975, un an avant la mort de Heidegger, à Fribourg-en-Brisgau. Que Lacan porte un grand intérêt à son Denken, cela n’est que trop évident. Et pourtant, Jacques-Alain Miller ne veut pas reconnaître ce fait-là, peut-être parce qu’il le déteste à cause de son antisémitisme qu’on a de nouveau constaté dans ses « cahiers noirs » et à cause de la tonalité fondamentale de mystique de son penser (puisque Jacques-Alain Miller veut toujours être claire).

Quoi qu’il en soit, je dirai ceci : que le point d’Archimède le plus important pour Lacan, c’est le penser de Heidegger, et ce pour fonder de façon pure la psychanalyse. Sur quoi ? Sur le trou de l’être (das durchgekreuzte Sein : Sein, Seyn) que je nomme « trou apophatico-ontologique » (l’ontologie aphophatique d’après la théologie apophatique).


Je suppose que c’est à partir du Sein (das durchgekreuzte Sein) qu’on peut trouver dans le texte de Heidegger intitulé Zur Seinsfrage [ De la question de l’être ] (1955) que Lacan a inventé son mathème du sujet barré $ que nous trouvons pour la première fois dans son Séminaire V (1957-1958) Les formations de l’inconscient.




Dans la perspective de l’ontologie apophatique, nous pouvons formuler la dialectique du sujet $ comme ceci : qu’il y avait d’abord la phase archéologique où le trou du sujet $ était ouvert ; et puis vient la phase métaphysique qui commence par l’obturation du trou du sujet $ par le signifiant maître S1 (dans l’histoire de la philosophie, le premier S1 serait l’ἰδέα platonicienne en tant que τὸ ὄντως ὄν, c’est-à-dire l’être au sens métaphysique du terme) et par le refoulement du trou du sujet $ par le S1 dans la localité de ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire ; enfin nous sommes maintenant, depuis le XIXe siècle, dans la phase eschatologique où l’obturation métaphysique du trou apophatico-ontologique se trouve annulée par les discours de la science et du capitalisme de sorte que le trou du sujet $ veut surgir comme une béance, contre lequel exercent de la résistance véhémente un essaim de S1 qui ne cesse pas de vouloir obturer le trou et le plus-de-jouir d’objets a qui ne cessent pas de s’écrire au bord du trou pour le dissimuler.

Le trou fondamental du sujet $, nous pouvons le retrouver dans le hiatus irrationalis dont Fichte traite dans les cours qu’il a faits en 1804-1805 de l’épistémologie (Wissenschaftslehre) et dont Lacan se sert pour le titre d’un poème qu’il a composé en 1929, et aussi bien dans ce que Hegel appelle dans sa Phénoménologie de l’esprit (1807) Trennung des Wissens und der Wahrheit (la séparation du savoir et de la vérité), laquelle expression Lacan reprend sous la forme de « division entre le savoir et la vérité » (Écrits, p.856). Si nous situons le hiatus irrationalis dans le schéma de l’aliénation que Lacan nous présente dans le Séminaire XIII (1965-1966) L’objet de la psychanalyse, ce serait comme ceci :


Dans cette structure de l’aliénation, l’objet a forme le bord du hiatus irrationalis (le trou apophatico-ontologique), ce qui nous permet de dire, comme Lacan le fait, que l’objet a se présente lui-même comme un trou.

À propos, le lecteur est invité de ne pas confondre la localité de la vérité dans ce schéma de l’aliénation avec la place de la vérité dans les quatre discours. Dans ce schéma-là, Lacan appelle vérité le réel en tant que ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire, tandis que la place de la vérité dans les quatre discours est la place de quelque chose d’idéal et d’a priori qui obture le trou apophatico-ontologique, c’est-à-dire qu’elle est la place du signifiant maître S1 dans ce schéma de l’aliénation.

Alors, la psychanalyse consiste à aider et faire avancer la transformation de la structure du discours de l’université en celle du discours de l’analyste en faisant renoncer à la jouissance phallique Φ et au plus-de-jouir a.


Par cette transformation, le sujet $ qui est refoulé par le signifiant maître S1 dans la place de ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire (l’impossible) va surgir dans la place de ce qui ne cesse par de s’écrire (le nécessaire), tandis que le signifiant maître S1 à la place de la vérité va être forclos de là dans la place de ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire (l’impossible).

Et cette transformation structurale correspond à la transformation de la structure de l’aliénation en celle de la séparation.


Nous pouvons voir là le sujet $ surgir comme un trou béant dans la structure de la séparation qui correspond à la structure du discours de l’analyste. C’est-à-dire : le trou du sujet $ qui est refoulé dans la place de l’impossible par le signifiant maître S1 qui a obturé le trou apophatico-ontologique, va surgir dans la place du bord du trou (la place de l’autre dans les quatre discours), ce qui nous permet de dire, tout comme au sujet du a dans la place de l’autre dans le discours de l’université, que le sujet $ se présente comme un trou béant.

Et Lacan avance encore d’un pas de plus pour formaliser l’amour en tant que sublimation du désir (cf. Séminaire X [1962-1963] L’angoisse) et en tant que c’est l’amour-sublimation qui détermine la fin de l’analyse.

Comme on le sait, le modèle de l’amour-sublimation pour Lacan, c’est toujours l’amour courtois qui se noue à la place du non-rapport sexuel entre le chevalier et la Dame.

Le trou du sujet $ qui vient béer dans la structure de la séparation, n’est pas encore le signe de l’amour-sublimation. Si l’amour est ce qui supplée au non-rapport sexuel (cf. la séance du 16 janvier 1973 du Séminaire XX Encore), l’amour-sublimation devrait être l’amour-nodalité qui supplée au trou du non-rapport.

Alors, qu’est-ce que Lacan fait dans ses tout derniers Séminaires, c’est-à-dire le Séminaire XXIV (1976-1977) L’insu que sait de l’une-bévue s’aile à mourre et le Séminaire XXV (1977-1978) Le moment de conclure ?

Notons ceci : que le titre du Séminaire XXIV composé de fragments de lalangue veut dire que « l’insuccès de l’Unbewusst c’est l’amour », c’est-à-dire que « l’insuccès de l’inconscient c’est l’amour » (donc c’est le seul de tous ses Séminaires qui comporte dans son titre, quoique d’une façon déguisée, le mot amour) et que le Séminaire XXV est celui qui conclut le précédent.

Qu’est-ce que « l’insuccès de l’inconscient » ? Si nous nous demandons, en revanche, ce que serait « le succès de l’inconscient », ce serait la jouissance du rapport sexuel pour autant que ce que Lacan appelle « rapport sexuel » est l’organisation génitale que Freud suppose réalisable dans le stade de maturation pulsionnelle sous le primat du phallus Φ. Donc « l’insuccès de l’inconscient » veut dire qu’ « il n’y a pas de rapport sexuel ».

Alors, comment pourrait-on atteindre, à partir de l’insuccès de l’inconscient, c’est-à-dire à partir du trou du non-rapport sexuel, à l’amour en tant que sublimation du désir, c’est-à-dire l’amour en tant que nodalité qui suppléerait au trou du non-rapport sexuel ? Et comment formaliser tout cela de façon topologique ? C’est ce que Lacan se demande dans ses tout derniers Séminaires.

Et la conclusion en est ceci : que le nœud de trèfle que Lacan est arrivé à obtenir à partir du bord de la bande de Möbius (c’est-à-dire le trou du sujet $) dans les dernières trois séances du Séminaire XXV, c’est le signe de l’amour-nodalité en tant que « le signifiant nouveau qui n’aurait aucune espèce de sens » qu’il cherche à obtenir dans la dernière séance du Séminaire XXIV. Si Lacan dit dans la première séance de son Séminaire Encore que « la jouissance de l’Autre – du corps de l’Autre qui Le symbolise – n’est pas le signe de l’amour » (cf. la séance du 21 novembre 1972), le nœud de trèfle qu’il redécouvre comme ce qui supplée au trou du non-rapport sexuel, c’est le signe de l’amour-sublimation-nodalité.


Si l’on appelle « dernier enseignement de Lacan » son enseignement de ces six années à partir du Séminaire XX jusqu'au Séminaire XXV (pour le moment, je n’y inclus pas le Séminaire XXVI [1978-1979] La topologie et le temps, puisque Lacan n’a pas pu le faire comme il aurait voulu le faire à cause de son mauvais état de santé ; j’imagine qu’il aurait souhaité le dédier à Heidegger parce que le titre « La topologie et le temps » nous rappelle celui de « Sein und Zeit » par l’intermédiaire du terme heideggérien « Topologie des Seins »), je dirai que le thème central en est l’amour-sublimation-nodalité qui supplée au trou du non-rapport sexuel pour autant que c’est cet amour-là qui détermine la fin de l’analyse. Ce nœud de trèfle du sujet $, c’est la formalisation de de l’ « être psychanalyste ».

Voilà comment je lis Lacan pour le moment.

Pour terminer le présent article, j’y ajouterai une autre remarque critique contre Jacques-Alain Miller à partir de la conférence Habeas corpus qu’il a faite à Rio de Janeiro, le 28 avril 2016, lors de la clôture du dixième congrès de l’Association Mondiale de Psychanalyse. Dans cette conférence de trentaine de minutes, nous pouvons voir une sorte de synthèse finale de l’interprétation de l’enseignement de Lacan par Jacques-Alain Miller, puisqu’elle a été faite 5 ans après l’arrêt de L’Orientation lacanienne, ce cours magistral qu’il faisait à partir de l’année académique 1981-1982 jusqu’à l’année 2010-2011.

En résumé, il dit ceci : Le dernier enseignement de Lacan se caractérise par le « corps parlant » (cf. des mots que Lacan a énoncés à la fin de la séance du 15 mai 1973) à la différence de son enseignement avant le Séminaire Encore, lequel se caractérise par la proposition qui se trouve dans le texte imprimé sur la quatrième page de la couverture des Écrits : « l’inconscient relève du logique pur, autrement dit du signifiant ». Cette proposition réduit l’être parlant au sujet $ qui n’a pas de corps physique. Par contre, le dernier enseignement de Lacan repose sur cette thèse implicite : « l’inconscient relève du corps parlant ». Par là, le binarisme de l’inconscient et de la pulsion qu’impliquait son enseignement antérieur – la séparation de la technique de déchiffrement de l’inconscient et de la théorie des pulsions – disparaît dans son dernier enseignement.

Alors, voyons comment l’interprétation de l’enseignement de Lacan par Jacques-Alain Miller est fausse.

D’abord, que veut dire « le logique pur » dans la proposition : « l’inconscient relève du logique pur, autrement dit du signifiant » ? Jacques-Alain Miller y voit automatiquement la logique formelle. Mais Lacan dit « le logique pur », non pas « la logique pure ».

J’y vois une allusion à l’article de Heidegger Logos (1951) que Lacan a lui-même traduit en français. Il l’a fait avant tous les autres heideggériens. Et il publie sa traduction du Logos dans le volume I de La Psychanalyse (1956) avec son Rapport de Rome où se trouve aussi une référence explicite à Heidegger au sujet de la mort.

Dans son article Logos, Heidegger interprète le fragment B50 d’Héraclite :

οὐκ ἐμοῦ ἀλλὰ τοῦ Λόγου ἀκούσαντας
ὁμολογεῖν σοφόν ἐστιν Ἓν Πάντα.

Ici, puisque nous n’avons pas besoin de détailler cet article dans son ensemble, j’en cite seulement un passage (GA 7, pp.225-226) :

Der Λόγος legt ins Anwesen vor und legt das Anwesendes ins Anwesen nieder, d.h. zurück. An-wesen besagt jedoch : hervorgekommen im Unverborgenen währen. insofern der Λόγος das Vorliegende als ein solches vorliegen läßt, entbirgt er das Anwesende in sein Anwesen. Das Entbergen aber ist die Ἀλήθεια. Diese und der Λόγος sind das Selbe. Das λέγειν läßt ἀλήθεια, Unverborgenes als solches vorliegen. Alles Entbergen enthebt Anwesendes der Verborgenheit. Das Entbergen braucht die Verborgenheit. Die Ἀ-Λήθεια ruht in der Λήθη, schöpft aus dieser, legt vor, was durch diese hinterlegt bleibt. Der Λόγος ist in sich zumal ein Entbergen und Verbergen. Er ist die Ἀλήθεια. Die Unverborgenheit braucht die Verborgenheit, die Λήθη, als ihre Rücklage, aus der das Entbergen gleichsam schöpft. Der Λόγος, die lesende Lege, hat in sich den entbergend-bergenden Charakter.

La traduction faite par Lacan :

Le Λόγος promeut dans l’être de la présence, et reposant aussi ce qui est présent dans l’être de la présence, il l’y reconduit. S’ap-présenter veut dire pourtant : une fois surgi durer dans le dévoilement. Pour autant que le Λόγος laisse se présenter ce qui se présente comme tel, il révèle ce qui est présent dans l’être de sa présence. Mais le fait de révéler est l’Ἀλήθεια. Celle-ci et le Λόγος sont la même chose. Le λέγειν laisse se présenter ἀλήθεια, ce qui est dévoilé comme tel. Tout ce qui est de révéler délivre ce qui est présent du voilement. Le fait de révéler a besoin du voilement. L’Ἀ-Λήθεια repose dans la Λήθη, puise en elle, produit ce qui par son travers est relégué. Le Λόγος est en soi à la fois une révélation et un recel. Il est l’Ἀλήθεια. Le dévoilement a besoin du voilement, la Λήθη, comme de la réserve dans laquelle la révélation puisse en quelque sorte puiser. Le Λόγος, le lais où se lit ce qui s’élit, a en soi le caractère de ce qui sauvegarde en révélant.

Heidegger voit donc dans le Λόγος héraclitien la structure phénoménologique de la vérité qui, en tant qu’Ἀ-Λήθεια, à la fois se révèle et se recèle, et qui se révèle à partir du recel.



Nous voyons là la transformation de la structure de l’aliénation (la structure du discours de l’université) en celle de la séparation (celle du discours de l’analyste) où le trou du sujet $ se révèle (entbergen) en surgissant (aufgehen) de la localité cachée (la localité de Verborgenheit, voilement) de ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire (l’impossible) dans la localité nodale (le bord du trou apophatico-ontologique, la localité d’Unverborgenheit, dévoilement) de ce qui ne cesse pas de s’écrire (le nécessaire). Et le trou du sujet $ qui maintenant ne cesse pas de s’écrire, recèle, en le révélant, le signifiant maître (le Nom-du-Père, le Nom de Dieu) S1 qui maintenant ne cesse pas de ne pas s’écrire (l’impossible).

C’est là la structure phénoménologique de la vérité, et c’est là ce que veut dire « le logique pur » en tant que ce qui se rapporte au Λόγος héraclitien.

Et quand Lacan dit que « l’inconscient relève du logique pur, autrement dit du signifiant », ce signifiant n’est rien d’autre que le Λόγος héraclitien, c’est-à-dire le trou du sujet $ qui enfin se révèle désaliéné.

Si Freud dit que le noyau de notre être consiste dans le désir inconscient, cela veut dire, du point de vue topologique, que l’inconscient est le trou archéologique et irréductible du sujet $ qui bée au centre de notre existence, et que le désir inconscient est ce trou du sujet $ même.

Dans la dialectique du désir, le trou du sujet-désir $ est obturé par le signifiant maître S1 qui par là le refoule (Urverdrängung, archirefoulement) dans la localité de ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire.

Cette structure où le signifiant S
1 (le surmoi) représente le sujet-désir $ (le ça) pour l’autre signifiant S2 (le moi), c’est la structure de l’aliénation, puisque le sujet-désir $ est à la fois représenté et dominé par le désir de l’Autre S1 qui lui impose son impératif catégorique : « Jouis ! ».

L’éthique de la psychanalyse consiste alors dans la désaliénation du sujet-désir $ par la renonciation de la croyance à la jouissance phallique Φ et de la fixation au plus-de-jouir a, laquelle amène le trou du sujet-désir $ à surgir comme une béance, dégagé de l’obturation par le phallus Φ et de la dissimulation par l’objet a. Dans ce surgissement béant du trou du sujet-désir $ consiste la jouissance de sublimation qui détermine la fin de l’analyse. Mais, comme nous l’avons vu, Lacan y ajoute encore un pas de plus qui consiste dans la suppléance du trou du non-rapport sexuel par le nœud de trèfle en tant que signe de l’amour-sublimation.

Passons au deuxième problème : le corps. Jacques-Alain Miller appelle notre attention sur la dernière phrase de Lacan dans la séance du 15 mai 1973 : « Le réel, c’est le mystère du corps parlant, c’est le mystère de l’inconscient ». C’est de là que Jacques-Alain Miller déduit que le dernier enseignement de Lacan implique cette thèse : « l’inconscient relève du corps parlant ».

Mais sur quoi Lacan met-il l’accent dans cette phrase : « Le réel, c’est le mystère du corps parlant, c’est le mystère de l’inconscient » ? Ce n’est pas le mot « corps », mais bien le mot deux fois répété : « mystère ». Le réel est le mystère pour autant qu’il ne cesse pas de ne pas s’écrire. C’est le mystère de La femme (das Ewig-Weibliche de Goethe) qui ne cesse pas de ne pas s’écrire. Et c’est le mystère du Nom de Dieu qui ne cesse pas de ne pas s’écrire.

Et pour quelle raison Lacan parle-t-il du corps dans cette séance-là ? C’est pour parler de la reproduction, c’est-à-dire de la procréation, et ce pour critiquer la supposition métaphysique et téléologique de Freud qui croit que la finalité de la pulsion sexuelle consiste dans la reproduction.

C’est précisément pour critiquer cette supposition téléologique de Freud que Lacan formule qu’il n’y a pas de rapport sexuel. Et nous pouvons retrouver cette critique déjà dans son Rapport de Rome sous cette expression : « la mythologie de la maturation instinctuelle » (Écrits, p.263). C’est-à-dire, la maturation de la pulsion sexuelle que Freud appelle « organisation génitale » et dont il suppose qu’elle se réaliserait sous le primat du phallus, cela n’est qu’une mythologie qui dissimule l’impossibilité de ce phallus. En fait, ce phallus sous le primat duquel se réaliseraient l’organisation génitale et la jouissance sexuelle en tant que jouissance génitale, il ne cesse pas de ne pas s’écrire. Et c’est ce que veut dire la formule : « il n’y a pas de rapport sexuel ».

Il est exceptionnel que Lacan parle du corps dans le contexte de la reproduction. Quand nous trouvons le mot « corps » dans son enseignement, c’est plus généralement le corps en tant que consistance, c’est-à-dire l’imaginaire. Si l’on peut dire que « l’inconscient relève du corps parlant », c’est pour autant que la consistance du corps parlant fait consister l’inconscient en tant que trou du sujet $.

Le troisième problème : le binarisme de l’inconscient et de la pulsion – la séparation de la technique de déchiffrement de l’inconscient et de la théorie des pulsions – que Jacques-Alain Miller croit pouvoir détecter dans l’enseignement de Lacan avant son Séminaire Encore.

Pour le croire, Jacques-Alain Miller s’appuie sur cette phrase de Lacan dans son Rapport de Rome : « la désintrication entre la technique de déchiffrage de l’inconscient et la théorie des instincts, voire des pulsions, va de soi » (Écrits, p.261).

Mais si nous relisons plus attentivement cette partie du Rapport de Rome, nous nous apercevons que Lacan parle dans cette phrase-là des instincts et des pulsions en tant qu’ils sont biologiques. Et cela aboutit à cette critique que j’ai citée plus haut : « la mythologie de la maturation instinctuelle ».

Ce que Jacques-Alain Miller ignore dans son exposé de Rio de Janeiro, c’est le fait que dans l’enseignement de Lacan, la pulsion dont il s’agit le plus fondamentalement, c’est la pulsion de mort impensable dans la perspective biologique, et que, si la pulsion dans la psychanalyse n’est rien d’autre que la pulsion de mort, la jouissance qui détermine la fin de l’analyse (oui, il faut une jouissance pour sortir du glissement métonymique du désir insatisfait) ne peut être que la jouissance de sublimation, c’est-à-dire la jouissance sans la satisfaction de la pulsion de mort comme telle.

Ce que Freud appelle « pulsion de mort » consiste en ceci : quand on cherche la jouissance sexuelle, on rencontre inévitablement le trou du non-rapport sexuel, lequel trou n’est pas érotique du tout, mais thanatique, angoissant et traumatique. Si l’on croit que ce trou est érotique, c’est pour autant que la supposition du phallus Φ lui donne la signification du phallus ( − φ ) et que par là l’on croit que le trou du manque phallique ( − φ ) peut être obturé par le phallus Φ. Mais cela n’est qu’une illusion, et même un délire.


Ainsi, le binarisme de l’inconscient et de la pulsion dans l’enseignement de Lacan avant son Séminaire
Encore n’est qu’une invention de Jacques-Alain Miller. On ne peut pas parler d’un tel binarisme dans l’enseignement de Lacan, et donc il n’y a pas lieu de parler de la résolution du binarisme dans son dernier enseignement.

Enfin le quatrième problème : le statut de l’objet a. Jacques-Alain Miller s’étonne quand Lacan dit dans son Séminaire Encore que le petit a est un semblant, puisque pour Jacques-Alain Miller l’objet a devrait être toujours ce que Lacan dit dans son Séminaire XIII (1965-1966) L'objet de la psychanalyse : « a est de l’ordre du réel » (la séance du 5 janvier 1966).

Mais voyons la position du petit a dans la figure du nœud borroméen à trois ronds de ficelle que Lacan nous présente dans son Séminaire XXII (1974-1975) R.S.I. :


La position du petit
a dans l’intersection centrale du symbolique, de l’imaginaire et du réel nous indique que le petit a est à la fois le trou, le semblant et ce qui ne cesse pas de s’écrire, et ce dans la structure de l’aliénation.



Dans la structure de l’aliénation, le petit a se présente d’abord comme un trou pour autant qu’il forme le bord du trou (le hiatus irrationalis) par où ex-siste le sujet-désir $. Et puis, il ne cesse pas de s’écrire (Wiederholungszwang) en tant que plus-de-jouir qui ne peut que glisser métonymiquement par rapport au sujet-désir $. Enfin il a la consistance de l’objet-cause imaginaire et matériel qui supporte l’ex-sistence du sujet-désir $.

C’est toujours comme cela que Lacan nous présente le petit a dans son enseignement.

Est-ce que vous voulez encore parler du « dernier enseignement de Lacan » tel qu'il nous est présenté par Jacques-Alain Miller, malgré tout ce que je vous ai fait remarquer dans le présent article ?

Aujourd’hui, au 40ème anniversaire de sa mort, ce qu’il nous faut, n'est-ce pas le retour à Lacan par la critique du Lacan déformé par Jacques-Alain Miller ? Sans cela, le destin de la psychanalyse lacanienne risquerait d’être pareil à celui de l’ego-psychology que Lacan a tant critiquée pour fonder la psychanalyse de façon pure, c’est-à-dire non empirique et non métaphysique.

******
L'addendum fait le 28 décembre 2024 : Maintenant je schématise avec le schéma de deux cercles les quatre discours de Lacan de façon suivante :


Et pour ce schéma, les lecteurs sont invités à lire mon article Quelques remarques sur la corrélation entre les quatre discours de Lacan et la théorie freudienne du développement libidinal.

2021年8月10日

村上仁美氏の作品 Narkissos



村上仁美氏の作品 Narkissos



この 村上仁美氏による Narkissos と題された 手のことを なぜか ふと 思い出して,iPhone のなかに残っている写真を 探し出した.2020年01月12日に Parabolica-bis で行われていた展覧会の際に 撮ったものである.同一の作品は,その一年前,2019年01月に 画廊 Zaroff で行われた展覧会でも 見かけた.

Caravaggio (1571-1610), Narciso (ca 1594-1596)

周知のように,ギリシャ神話において,美少年 Νάρκισσος (Narcissus, Narcisse) は,自身の鏡像に情熱的に魅せられて,生きることを放棄し,死ぬ.彼がいた場所には,美しい水仙の花が咲く.

村上仁美氏の作品 Narkissos は こんな光景を想像させる : Caravaggio が描いた Narciso の 右手だけが 彼の死後 残り,下方へは その指先から 大地へ 根が生え,上方へは その手首から 水仙の花が咲き出る.

手の皮膚表面には,皮下静脈が浮き出たように 蔦がからまり,蜘蛛などの虫も這い回っている.

Paul Delvaux (1897-1994), Femmes-Arbres (1937)

村上仁美,根の国 (2017)

その意味では,この Narkissos は,彼女が Paul Delvaux の Femmes-arbres から得た着想のもとに 創作する 一連の作品 — その代表例が『根の国』— のなかに 位置づけられる.

しかし,ほかの諸作品が 村上仁美氏の自画像としての少女像であるのに対して,この〈Narkissos の換喩としての〉手は そうではない.

また,五つの指先だけで立つ この手の 不安的な立ち姿は,Mutter Erde[母なる大地]の形象としての 彼女の諸作品が有する ある種の安定性とは 対照的である.

彼女の Narkissos の手が印象に残っていたのは,それらの理由によってであったかもしれない.



「食卓 — 生(エロス)と死(タナトス)—」: 村上仁美氏の 修士制作と修士論文

Habemus artificem – 村上仁美氏の作品との出会い

村上仁美氏の 2018年の個展「常世の庭」を見て

村上仁美氏の個展 Signals from Faraway

2021年7月22日

Bonne fête de Marie Madeleine, l'Apôtre des Apôtres !

Caravaggio (1571-1610), Maria Maddalena in estasi (1606)

Bonne fête de Marie Madeleine, l'Apôtre des Apôtres !

使徒たちの使徒 マグダラの聖マリア の 祝日 おめでとうございます!


伝統的な Maria Magdalena の描き方の ひとつは Noli me tangere[わたしに触れるな]である.しかし,Jesus は 決して Maria Magdalena に「わたしに触れるな」と禁止したりは しなかった.

ヨハネ福音書 20 章 17 節において 何と言われているか?ギリシャ語の原文では,Jesus は 彼女に こう言っている :
μή μου ἅπτου.

文法的に説明すると,
ἅπτου は動詞 ἅπτεσθαι[自身を ...へ固定する,つかむ,とらえる,しがみつく,触れる]の 二人称単数の 命令形である.μή は 否定辞である.したがって,その文は 確かに 一種の否定命令 — つまり 禁止 — を表してはいる.しかし,それは 単なる「触れるな」ではない.

もし単純に「わたしに触れるな」という禁止を言うのであれば,古代ギリシャ語では,動詞を 接続法アオリストに活用して,
μή μου ἅψῃ と言うはずである.それに対して,Jesus が Maria Magdalena に発した言葉 — 直説法現在の 否定命令 μή μου ἅπτου — が示唆しているのは,このような光景である:復活した主を見て,彼女は,喜びのあまり,彼に抱きついた(あるいは,もし 彼女は 地面に ひざまづくか ひれ伏している と 想像するなら,彼女は 彼の下半身に抱きついたか,彼の足を手で握りしめた); そして,彼女がいつまでもそうしているので,Jesus は 彼女に 優しく言った :「わたしにしがみつき続けるな — いつまでもそうしていないで,いいかげんに放してくれよ」.

Vatican の web site に提示されている ラテン語聖書 では,当該箇所は,"noli me tangere" ではなく,"noli me tenere" と訳されている.つまり,「わたしをいつまでも[地上に]とどめておかないでくれ」.その方が,それに続く言葉 :「なぜなら,わたしはまだ御父のところへ昇っていないのだから」とも よりよくつながり得る.

最新の聖書協会共同訳では,いまだに「わたしに触れてはいけない」と訳されている.それは もはや 誤訳である と言わざるを得ない.

福音書に物語られていること — 復活した Jesus は 最初に 女たちに(特に Maria Magdalena に)現れた — が 真理を表しているとするなら,それは,このことである:つまり,十字架上で処刑された Jesus は,今,我々が Maria Magdalena と呼んでいる ひとりの女性(または,女性たちの一団)において(「の『こころ』のなかで」ではなく),死から永遠の命へ「復活」したのだ.そして,そのことは,同時に,彼女が Jesus によって永遠の命へ「復活」させられた,ということでもある.

まさに,Maria Magdalena における「復活」の成起を以て,キリスト教と呼ばれる信仰は 誕生した.それがいつのことなのか — Jesus の 処刑(推定,紀元 30 年)から三日めのことなのか,何週間ないし何ヶ月か後のことなのか,あるいは 何年も後のことなのか — は,定かではない.勿論,最初のパウロ書簡(第 1 テサロニケ書簡)が書かれたと推定される 紀元 51 年より かなり前であることは 確かだが.

Caravaggio が描いた恍惚における Maria Magdalena の肖像は,彼女における Jesus の「復活」の瞬間と,それと同時的な 彼女自身の「復活」の瞬間 — すなわち,キリスト教の誕生の瞬間 — の図像化である,と言うことができる.

使徒 Paulus は,ユダヤ教聖典の解釈によってキリスト教神学を形成して行く作業のなかで,Jesus の「復活」がひとりの女性において成起したという事実を 無視した.しかし,口承の伝統においては Maria Magdalena は忘れ去られることはなく,彼女の名は 福音書のなかに しっかりと書きとめられた.そして,彼女は,主の復活を使徒たちに告げ知らせた 第一証言者として,Apostola Apostolorum[使徒たちの使徒]の称号のもとに 崇められている.彼女における「復活」の成起がなければ,キリスト教は 誕生し得なかった.

「復活」は,「よみがえり」でも「死後の世界」のことでもない.それは,わたしたちに,生物学的な意味における「死」の後に起こる何ごとか ではない.

もし仮にそう考えるなら,それは 仏教の浄土信仰と本質的に何ら変わらないことになってしまう.死後に天国ないし浄土に行くことが,今,生きていることよりもより重要なことになってしまう.そして,それは,「我々は,今,生きており,今,実存している」ということの「かけがえのなさ」を,相対化し,むしろ,「死後の生」よりもより軽いもの,より非本質的なものと見なすことになってしまう.そして,そのような思念は,キリスト教をも,仏教と同様に,単なる葬式のための儀式へ変質させてしまうだろう.また,さらには,自殺のみならず,「生きて存在していることは四苦八苦にほかならず,諸行無常であるのだから,人間たちをすべて,できるだけ早く涅槃に至らしむることこそが,彼れらを救済することになる」という 邪悪な他殺の思想をさえ正当化することになるだろう.

キリスト教は,そのような仏教と同じでは あり得ない.なぜなら,「死から永遠の命への復活」は,死後に起きる何ごとかではなく,しかして,今,生きている我々において成起することであり,かつ,我々が今,生きているからこそ,我々において成起し得ることであるのだから.

キリスト教の教義において「死から永遠の命への復活」と呼ばれている事態は,単なる神話ではない.そうではなく,人間が 今,神の命(存在)を生きる,ということである.そして,それが可能なのは,神は,御自身の命(存在)を以て,人間を生かせて(存在させて)くださっているからである.

人間の生は,単なる生物学的な生に還元され得るものではない.人間が生きている生は 神 御自身の生であり,人間の存在は 神 御自身の存在である.

先ほど,「主は Maria Magdalena の『こころ』のなかで復活した」と言うのは適当ではない,と言った.その理由は,こうである:かかわっているのは,「こころ」ではなく,存在である;主は,Maria Magdalena の存在そのものにおいて 復活したのであり,彼女のみならず,あらゆる人間の存在において 復活する;そして,ひとりの人間の存在において主が復活するということは,同時に,その人間が復活する ということである.

無からすべてを創造する神は,我々ひとりひとりを創造するとき,我々ひとりひとりの存在を神御自身の存在によって可能にしてくださった.そのことに気がつき,そのことに感謝しよう.そのとき,我々は,死から永遠の命への復活を自覚することができ,その喜びを生きることができるからである.

そして,その喜びは,原罪からの解放としての罪の赦しの喜びでもある.

死から永遠の命への復活と,無からの創造と,罪の赦し — それら三つの教義が如何に密接に関連しあっているかが,示唆される.

Maria Magdalena の経験が キリスト教信仰の出発点であったとすれば,聖職者中心主義も 律法中心主義も,我々の信仰には 異質なものであり,不要なものである.


2021年6月30日

Ce que Lacan veut dire quand il dit que « personne qui habite la langue japonaise n’a besoin d’être psychanalysé » – un essai d’explication à partir de l’ontologie apophatique en tant que fondement pur de la psychanalyse

 

Contribution d’un analyste lacanien au Japon : Ce que Lacan veut dire quand il dit que « personne qui habite la langue japonaise n’a besoin d’être psychanalysé » – un essai d’explication à partir de l’ontologie apophatique en tant que fondement pur de la psychanalyse


 


 
Aux États-Unis, on compte maintenant les psychanalystes parmi les espèces en danger à cause du manque de jeunes candidats et du vieillissement de ceux qui exerce le métier [1]. La situation au Japon est pire : la liste [2] de la Japan Psychoanalytic Society ne compte que 41 analystes (dont 7 émérites) tandis que la population japonaise compte plus de 120 millions de personnes. Parmi ces 34 analystes en fonction, au moins vingt ont plus de 60 ans et environ dix ont plus de 70 ans. On dit qu’on a chaque année entre un et trois nouveaux analystes, ce qui veut dire que le nombre d’analystes affiliés à l’IPA restera toujours dérisoire par rapport à la population totale. Quant aux lacaniens, les analystes qui ont été formés à Paris et qui pratiquent actuellement au Japon, ils sont moins de cinq (moi compris), un chiffre non moins dérisoire.

[1] Leonard, T., « Shrunk – Drugs, yoga, CBT and busy lives are occupying the space once reserved for the shrink’s couch », The Spectator, 25 avril 2015.


Tout cela confirme bien la thèse que Lacan a énoncée il y a cinquante ans : « personne qui habite cette langue, n’a besoin d’être psychanalysé » [3]. C’est-à-dire, dans la société où on parle japonais – cette langue où « on parle chinois pour parler japonais [4] » à cause de sa caractéristique linguistique singulière de la dualité de l’on-yomi et du kun-yomi –, on n’a pas besoin du discours de l’analyste. Précisons encore un peu plus : celui qui habite lalangue japonaise ne veut pas « progresser [5] » du discours de l’université au discours de l’analyste puisqu’il est tout à fait satisfait de ce dont il jouit dans la structure du discours de l’université. De quoi jouit-il là ? De la fixité de la signifiance maîtresse [6] S1 à la place de la vérité.

[3] Lacan parle de la langue japonaise dans ces trois textes : « Lituraterre » écrit en 1971 juste après son deuxième voyage au Japon (dans Autres écrits, Paris, Le Seuil, 2001, p. 11-20), « Avis au lecteur japonais » écrit en 1972 en guise de préface à la traduction japonaise des Écrits (dans Autres écrits, p. 497-499) et « Postface au Séminaire XI » écrit en 1973 (dans Autres écrits, p. 503-507). On a par ailleurs le texte de ses propos énoncés le 21 avril 1971 devant les traducteurs japonais des Écrits. C'est dans son Avis au lecteur japonais (Autres écrits, p.498) que Lacan dit que « personne qui habite cette langue [ le japonais ], n’a besoin d’être psychanalysé ».

[4] Lacan, J., « Avis au lecteur japonais », dans Autres écrits, Paris, Le Seuil, 2001, p. 498.

[5] Dans le schéma présenté par Lacan à la dernière page de « Radiophonie » (dans Autres écrits, Paris, Le Seuil, 2001, p. 447), le « progrès » signifie la transformation structurale qui part du discours du maître et qui arrive, en passant par le discours de l’université, au discours de l’analyste, tandis que la « régression » est la transformation du sens inverse. Notons qu’il est écrit là que « le discours du maître s’éclaire par régression du discours de l’hystérique », mais il faut lire : « le discours du maître s’éclaire par régression au discours de l’hystérique », puisque « c’est d’un effet de régression par contre que s’opère le passage [du discours du maître] au discours de l’hystérique » (ibid., p. 436). Dans ce sens, la transformation du discours de l’université au discours de l’analyste est un « progrès », tandis que celle du discours de l’analyste au discours de l’université est une « régression ». Et c’est exactement de cette régression qu’il s’agit quand Freud dit qu’on fait régression de l’organisation génitale à un stade prégénital dans sa position libidinale.

[6] On peut appeler « signifiance maîtresse » le signifiant maître S1 posé à la place de la vérité dans le discours de l’université, puisqu’il se situe dans la place de signifié par rapport au signifiant S2. On peut observer chez les paranoïaques une pareille fixité de la signifiance maîtresse S1 (Wahnbedeutung).


L’histoire et les caractéristiques de la langue japonaise

Le japonais appartient aux langues japoniques qui constituent une famille isolée, complètement différente en genèse et en structure de toutes les autres.

Le proto-japonais n’avait pas de lettre et son vocabulaire était limité. Au cinquième siècle, l’introduction de caractères et de mots chinois a commencé pour importer la civilisation chinoise très développée.

Puisqu’il était pratiquement impossible de traduire tous ces mots et idées compliqués dans le proto-japonais illettré, les Japonais ont introduit dans leur propre langue un grand nombre de mots chinois écrits en sinogrammes et prononcés de façon pseudo-chinoise, c’est-à-dire qu’on les prononce dans la mesure du possible en en imitant la vraie prononciation. Cette prononciation japonisée est ce qu’on appelle on-yomi d’un mot chinois.

En même temps, on a commencé à écrire des mots proto-japonais avec des sinogrammes phonogrammatisés, c’est-à-dire que l’on en sépare le côté de signifiant du côté de signifié et néglige ce dernier. Cette phonogrammatisation d’idéogrammes chinois a produit au neuvième siècle les deux systèmes de phonogrammes japonais, le katakana et le hiragana.

Alors on comprend pourquoi Lacan dit que le japonais est « la traduction perpétuelle faite langage [7] ». Pour entendre ce qui est dit en japonais, il faut traduire en japonais des mots chinois qui y sont compris, puisqu’ils sont comme tels asémantiques pour les Japonais dont peu parlent chinois. Donc on doit assigner à chaque mot chinois une signifiance a priori déterminée, et c’est ce qu’on appelle kun-yomi d’un mot chinois.

[7] Lacan, J., « Lituraterre », dans Autres écrits, Paris, Le Seuil, 2001, p. 20.

Telle était la langue dans une société plus ou moins fermée au monde occidental jusqu’à la moitié du XIXe siècle. Alors, en 1853, est survenue l’expédition de navires américains en vue d’imposer au gouvernement japonais les relations diplomatiques et commerciales avec les États-Unis, ce qui provoqua la fin des deux siècles d’isolationnisme. Le pays qui était encore féodal est forcé à s’ouvrir aux discours de la science et du capitalisme occidentaux.

Alors, ce qui s’est passé en langue japonaise, c’est ceci : d’innombrables mots et idées occidentaux y ont été introduits et traduits en hâte en deux ou trois décennies dans la dernière moitié du XIXe siècle. Ce qui est là caractéristique, c’est qu’ils ont été traduits avec des néologismes sinogrammatiques composés typiquement de deux caractères chinois et prononcés de façon pseudo-chinoise.

Cette inondation de néologismes qui sont comme tels asémantiques a rendu l’être parlant japonais incapable de penser. C’est fondamentalement cette incapacité qui entraîne le gouvernement japonais dans la Seconde Guerre mondiale qui finit par la défaite catastrophique en 1945, c’est-à-dire moins de quatre-vingts ans après le commencement en 1868 de la participation du Japon au monde international.

Après la défaite, sous l’occupation américaine, a commencé – et cela continue et continuera toujours – l’introduction d’innombrables mots américains qui, maintenant, ne sont plus traduits du tout : ils sont prononcés de façon pseudo-américaine et écrits avec des phonogrammes japonais selon leurs prononciations pseudo-américaines.

Cette nouvelle inondation de néologismes asémantiques ne peut qu’aggraver l’incapacité de penser en japonais. Nous pouvons en voir les conséquences dans la situation actuelle : face à la pandémie de Covid-19, le gouvernement japonais ne peut ni ne veut prendre des mesures efficaces et drastiques et prétend seulement qu’on peut se confronter à la difficulté avec l’esprit japonais, c’est-à-dire qu’il a la même idée délirante agitée que pendant la Seconde Guerre mondiale.

Pour se représenter quelle est la langue japonaise d’aujourd’hui, on pourrait imaginer une situation où, en français, beaucoup de noms et de verbes sont remplacés par des mots grecs ou russes qui sont écrits avec l’alphabet grec ou cyrillique et prononcés de façon pseudo-grecque ou pseudo-russe. Quel cauchemar ! Ce serait pareil ou pire que ce Wortsalat (salade de mots) que James Joyce a composé sous le titre de Finnegans Wake. Le japonais est ainsi fait.

Ces deux aspects – la non-nécessité de la psychanalyse et l’incapacité de penser chez l’être parlant japonais – sont conditionnés par la même chose : la fixité de la signifiance maîtresse S
1 donnée a priori à la place de la vérité, sans laquelle on ne pourrait rien dire et on ne pourrait rien se communiquer dans cette langue qui comprend trop de signifiants asémantiques.


L’introduction de l’ontologie apophatique en tant que fondement pur de la psychanalyse

Pour l’expliquer, commençons par introduire l’ontologie apophatique [8] en tant que fondement pur [9] de la psychanalyse.


[9] Quand je dis ici « pur », cela signifie non seulement « non empirique », mais aussi bien « non métaphysique », pour autant que la pensée de Heidegger consiste dans la critique de toute la tradition de la métaphysique.

Tout l’enseignement de Lacan consiste à fonder la psychanalyse de façon pure sur la topologie et la phénoménologie du trou central, fondamental et irréductible du sujet $, et ce afin de former et de qualifier un nouvel analyste seulement en fonction de ce qui se passe dans l’expérience analytique, non pas par des critères qui y sont extrinsèques tels que la durée et la fréquence de la séance, les années totales de l’analyse, la thèse présentée devant le jury, etc.

Qu’il ne s’agisse dans l’enseignement de Lacan de rien d’autre que du fondement pur de la psychanalyse, nous pouvons le constater par ces trois citations :

C’est là le problème des fondements [de la psychanalyse] qui doivent assurer à notre discipline sa place dans les sciences : problème de formalisation, à la vérité fort mal engagé [10].

[10] Lacan, J., « Rapport de Rome » (1953), dans Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 284.

Je vais vous parler des fondements de la psychanalyse [11].

[11] Lacan, J., Le Séminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Le Seuil, 1973, p. 7, Leçon du 15 janvier 1964.

J’ai énoncé – en le mettant au présent – qu’il n’y a pas de rapport sexuel. C’est le fondement de la psychanalyse [12].

[12] Lacan, J., Le Séminaire, Livre XXV, Le moment de conclure, inédit, Leçon du 11 avril 1978.


Si l’on date le commencement de son enseignement à 1953, on voit que Lacan ne cesse pas là de s’interroger depuis le commencement jusqu’à la fin sur le fondement pur de la psychanalyse. Il n’y a aucune discontinuité ni aucun virage à ce propos. Ce que l’on appelle « tout dernier enseignement de Lacan » n’est rien d’autre que la réponse conclusive à cette question fondamentale et cruciale : ce qui fait le fondement pur de la psychanalyse, c’est un trou – le trou du non-rapport sexuel [13].

[13] Lacan dit qu’« il n’y a pas de rapport sexuel – ça fait trou en un point du parlêtre », que « l’inconscient, c’est le réel en tant que chez le parlêtre il est affligé de la seule chose qui fasse trou », et que « le départ de tout nœud social se constitue du non-rapport sexuel comme trou » (« Le Séminaire, Livre XXII, R.S.I. », inédit, Séance du 15 avril 1975).
 
Si la formule « il n’y a pas de rapport sexuel » nous a été présentée pour la première fois dans le séminaire D’un Autre à l’autre (1968-1969), nous pouvons voir Lacan mettre en question la possibilité du « rapport sexuel » dès le « Rapport de Rome » avec cette expression : la « mythologie de la maturation instinctuelle [14] ».

[14] Lacan, J., « Rapport de Rome » (1953), dans Écrits, p. 263.

C’est-à-dire, la formule « il n’y a pas de rapport sexuel » signifie l’impossibilité de l’organisation génitale où, selon la supposition freudienne du développement libidinal, toutes les pulsions prégénitales seraient synthétisées sous le primat du phallus pour servir la procréation en tant que finalité de la sexualité de l’être humain.

Donc le trou du non-rapport sexuel est le trou du phallus impossible qui ne cesse pas de ne pas s’écrire – ce phallus sous le primat duquel se réaliserait la maturation pulsionnelle : le phallus paternel, ou plus exactement le phallus patriarcal, c’est-à-dire le phallus de l’Urvater mythologique qui serait tout-puissant et tout-jouissant [15].

[15] Cf. Sigmund Freud, Totem et Tabou (1913).

Ce phallus patriarcal impossible, nous pouvons le retrouver dans les formules de la sexuation où Lacan met une barre horizontale de négation sur le phallus Φ, laquelle n’en marque pas là simplement la négation, mais plus exactement l’impossibilité.


Que le phallus patriarcal qui est mythologique et métaphysique – métaphysique puisqu’il est téléologique en tant que sa finalité est supposée consister dans la procréation – soit impossible est dévoilé au moment même où la métaphysique s’est achevée chez Nietzsche, le philosophe du renversement du platonisme, qui, en tenant pour irréelle et caduque l’ἰδέα platonicienne en tant que τὸ ὄντως ὄν éternel et immuable, l’a remplacée par la volonté de puissance (Wille zur Macht) qui ne cesserait jamais de vouloir encore plus de puissance (Mehr-Macht) [16].

[16] C’est bien la volonté de puissance et le surhomme de Nietzsche que Freud redécouvre dans son concept du surmoi, qui, comme Lacan le formule, nous force à jouir toujours et encore plus par son impératif catégorique : « Jouis ! »

Heidegger découvre là le fondement abyssal (Ab-grund) de la métaphysique qu’il désigne avec le mot Sein (être) biffé d’une croix (das durchgekreuzte Sein). Nous le biffons plus simplement d’une ligne : Sein ou être. Et je suppose que c’est précisément à partir de ce Sein que Lacan a inventé son mathème du sujet barré $.


Peter Trawny, l’éditeur des Cahiers noirs, appelle le penser de Heidegger d’après-guerre das Denken des Seyns (le penser de l’être) puisque le mot biffé Seyn s’y trouve partout. Nous pourrions l’appeler « ontologie apophatique » ou « topologie apophatico-ontologique » dans la mesure où Heidegger met au centre de son penser la topologie de la localité de l’être (die Topologie der Ortschaft des Seyns).

Bien que Heidegger ne dise pas Loch des Seyns (trou de l’être), il se trouve dans ses textes des mots tels que Riß (déchirure), Zerklüftung (fente), Abgrund (abîme, abysse) et Ab-grund (le fondement abyssal). Donc nous pourrions dire qu’il s’agit dans sa Topologie der Ortschaft des Seyns de la topologie du trou du sujet barré $, autrement dit le trou apophatico-ontologique.

Alors nous pouvons résumer et formaliser avec la topologie et des mathèmes lacaniens ce que Heidegger appelle Geschichte des Seyns (Histoire de l’être) comme ceci (cf. Figure 1) :



0) ἐν ἀρχῇ – dans la phase « archéologique » de l’Histoire de l’être – était le trou du sujet $.

1) La phase métaphysique commence par l’obturation du trou du sujet $ par l’ἰδέα platonicienne que nous pouvons considérer comme le premier de l’essaim de signifiants maîtres S
1 posés dans la place de la vérité et qui l’archirefoule (urverdrängen) dans la place de ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire, c’est-à-dire la place de la production. On oublie cet archirefoulement, mais il laisse sa trace au bord du trou (la place de l’autre) où se situe l’objet a. Par là nous avons la structure de l’aliénation et celle du discours de l’université.

2) La phase eschatologique commence par l’annulation de l’obturation métaphysique du trou. Nous pouvons considérer que cette annulation a eu lieu à la fin de ce que Michel Foucault appelle âge classique. Alors le trou apophatico-ontologique veut s’ouvrir et le trou du sujet $ veut surgir dans la structure de la séparation et celle du discours de l’analyste. Mais, en même temps, des résistances intenses s’y opposent par la réobturation du trou au moyen de nouveaux signifiants maîtres S
1 institués dans la place de la vérité et par la dissimulation du trou au moyen de l’objet a qui se répète et se multiplie indéfiniment au bord du trou, puisque le surgissement du trou du sujet $ provoque les angoisses intenses du néant, de la mort et du péché originel, c’est-à-dire ce que Freud appelle angoisse de castration. Ainsi, la phase eschatologique de l’Histoire de l’être où nous vivons actuellement se caractérise par la pulsation temporelle de l’aliénation et de la séparation (cf. Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse), c’est-à-dire par des va-et-vient qui se répètent indéfiniment entre la structure du discours de l’université et celle du discours de l’analyste.

Ce que Lacan nous démontre comme trou du non-rapport sexuel et trou du phallus patriarcal impossible, ce n’est rien d’autre que ce trou apophatico-ontologique. Le phallus patriarcal Φ est un des S
1 métaphysiques qui sont en fait incapables de l’obturer. Nous pourrions dire que c’est à partir de sa rencontre avec ce trou que Freud a formulé le complexe de castration.

Alors la psychanalyse consiste dans la phénoménologie pratique (non pas spéculative comme la phénoménologie hégélienne) du trou du sujet $ (non pas le sujet substantiel de la dialectique hégélienne) qui est archirefoulé dans la place de ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire dans la structure du discours de l’université et qui va surgir comme un trou qui ne cesse pas de s’écrire dans la structure du discours de l’analyste. La fonction de l’analyste consiste à aider et à soutenir le surgissement angoissant du trou du sujet $. Pour pouvoir le faire, l’analyste doit être lui-même, an und für sich, le trou du sujet $, ce que Lacan appelle désir de l’analyste, ce désir qui s’est sublimé dans sa propre expérience analytique. Le nœud de trèfle que Lacan nous présente à la fin de son séminaire « Le moment de conclure » (1977-1978) serait ce signe de l’amour en tant que sublimation du désir. À cet égard, nous pourrions dire que le nœud de trèfle est un nouvel S(Ⱥ) en tant que signifiant de la fin de l’analyse.


La raison pourquoi l’être parlant japonais est incapable de penser et n’a pas besoin de la psychanalyse

Comme je l’ai déjà suggéré, l’incapacité de penser et la non-nécessité de la psychanalyse chez l’être parlant japonais sont conditionnées par la fixité de la signifiance maîtresse S1 dans la place de la vérité dans la structure du discours de l’université, laquelle fixité, conditionnée par les singulières caractéristiques linguistiques du japonais, empêche la transformation structurale du discours de l’université au discours de l’analyste.

Comme le suggère Lacan dans sa leçon du 29 janvier 1964 du séminaire Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, le penser en tant que cogito cartésien consiste dans le doute hyperbolique qui forclôt la signifiance maîtresse S
1 dans la place de ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire (cf. Figure 2). Par cette forclusion de la signifiance maîtresse S1 se produit la transformation structurale du discours de l’université en discours de l’analyste où surgit le trou du sujet $ (le sum) au bord du trou. La fixité de la signifiance maîtresse S1 dans le japonais rend impossible le cogito ergo sum cartésien.


La même fixité de la signifiance maîtresse S1 assure à l’être parlant japonais une jouissance dans le discours de l’université, à cause de laquelle il n’a pas besoin du passage dans le discours de l’analyste. C’est cette jouissance de la signifiance maîtresse S1 chez l’être parlant japonais qui fait parler à Alexandre Kojève du « snobisme à l’état pur de la civilisation japonaise » et à Roland Barthes de « l’Empire des signes » qui veut dire en fait la domination du semblant qu’est la signifiance maîtresse S1.

La société japonaise, telle qu’elle existe depuis 1868 jusqu’à aujourd’hui, disparaîtra très probablement dans cent ans à cause de la diminution et du vieillissement de la population conditionnés par le bas taux de fécondité, lequel est conditionné par l’incapacité de penser de l’être parlant japonais qui ne veut rien faire pour le faire augmenter. La disparition d’une nation à cause de sa propre langue : c’est ce que l’on observera de très intéressant dans les siècles à venir.