La jouissance féminine, la jouissance mystique et la sublimation en tant que jouissance au-delà de la jouissance
Luc S. Ogasawara
1. La jouissance féminine, la jouissance mystique et la
jouissance au-delà
2. La sublimation dans l’enseignement de Lacan
3. L’escabeau : l’aspect matériel de la sublimation
4. Le saint
5. L’aspect formel
de la sublimation
6. La structure apophatico-ontologique du parlêtre et sa
topologie
7. L’aliénation et le discours de l’université
8. Le passage du discours de l’université dans le
discours de l’analyste
9. Le S(Ⱥ) et la sublimation
1. La jouissance féminine, la jouissance mystique et la
jouissance au-delà
Si Lacan s’interroge
sur la jouissance féminine dans son Séminaire XX Encore (1972-1973) ce n’est pas pour faire une sexologie qui
parlerait de toutes ces « conneries » de jouissances clitoridienne ou
vaginale etc. (la séance du 20 février 1973).
Et s’il se
demande là, en plus, de ce qu’il en serait de la jouissance mystique, ce n’est
pas non plus pour faire une psychopathologie des saints.
Car ce qu’il nous
suggère par la statue berninienne de l’Extase
de sainte Thérèse, c’est « une jouissance qui serait au-delà » (ibid.) :
au-delà de la jouissance phallique de L’Homme narcissique (due à la phase
phallique infantile où se détermine la sexuation masculine), au-delà de la
jouissance prégénitale et perverse du plus-de-jouir de l’objet a, et au-delà de la jouissance génitale
impossible du rapport sexuel qu’il n’y a pas ‒ bref, une jouissance au-delà de la jouissance.
Lacan déclare qu’il
y croit : « je crois à la jouissance de La Femme en tant qu’elle est en plus » (ibid.), même
si les femmes et les mystiques n’en savent rien et qu’on ne puisse rien tirer
d’eux.
Ce credo lacanien nous indique qu’il s’agirait
là de quelque chose comme un postulat qui serait indépendant par rapport aux autres
éléments de l’axiomatique de laquelle il fait partie.
Et si les femmes
et les mystiques n’en savent rien, même s’ils l’éprouve, c’est parce que cette
jouissance au-delà de la jouissance serait quelque chose de faktisch au sens heideggérien du terme mais
qui reste impensé et qui n’est jamais mis en question comme tel.
2. La sublimation dans l’enseignement de Lacan
Que serait-ce ?
Je pense que c’est la sublimation en
tant que la fin de l’analyse consisterait en elle que Lacan essaie de remettre
en question par cette notion de jouissance au-delà de la jouissance.
Alors, qu’en
est-il de la sublimation dans l’enseignement de Lacan ?
Comme on le sait,
c’est surtout dans les Séminaires VII (1959-1960) et VIII (1960-1961) que Lacan
parle beaucoup de la sublimation dont il voit dans l’amour courtois un modèle
exemplaire.
Tandis qu’il continue à faire état de l’amour
courtois jusqu’aux années 70, par contre, après le Séminaire XVI (1968-1969), Lacan
ne fait plus de référence explicite à la sublimation. Est-ce parce qu’en fin de
compte, il n’aime pas ce terme vulgarisé avec une connotation moralisatrice ?
Mais, en tout cas, cela ne veut pas dire que Lacan
ne pense plus à la sublimation comme la fin de l’analyse. Au contraire, c’est
bien par les notions de suppléance et
de sinthome (saint homme) que Lacan continue de la remettre en question.
Car d’abord, dans
son Encore, il dit de l’amour
courtois ceci :
« l’amour courtois, qu’est-ce que
c’est ? C’était cette espèce, cette façon tout à fait raffinée de suppléer à l’absence de rapport sexuel,
en feignant que c’est nous qui y mettions obstacle » (la séance du 20
février 1973).
Et puis, il est à
remarquer que c’est dans le droit-fil de la thématique de jouissance mystique
dans le même séminaire où il nomme ces trois saints : Hadewijch d’Anvers (même
si Vatican ne la canonise pas), Thérèse de Jésus et Jean de la Croix, que Lacan
parlera du saint dans sa Télévision (Autres écrits, pp.519-520) au dernier trimestre de l’an 1973 et
dans Joyce le Symptôme (ibid., pp.565-570) écrit probablement en
1976.
Alors, qu’est-ce
que la sublimation selon l’enseignement de Lacan ?
Il en distingue
deux aspects ‒ pour
ainsi dire, l’aspect formel et l’aspect matériel ‒ dont l’amour courtois représente le mieux
la conjonction, c’est-à-dire, d’une part, l’amour pur qui consiste à « donner ce qu’on n’a pas » (Écrits, p.618) et d’autre part, la création d’oeuvre
ou d’objet artistiques.
Il faudrait
ajouter que le mot « pur » est à prendre au sens kantien de ce terme,
non pas religieux ni moral, c’est-à-dire cet amour pur est une condition de possibilité de tout ce qui est empirique
et de l’ordre de l’étant (Seiendes).
3. L’escabeau : l’aspect matériel de la sublimation
D’abord, l’aspect
matériel de la sublimation, c’est-à-dire l’objet d’art qui ne cesse pas de
s’écrire ou de se produire dans son Wiederholungszwang.
Dans Joyce le Symptôme
(Autres écrits,
pp.565-570), Lacan appelle la création artistique, en fin de compte, d’une
façon un peu péjorative, « escabeau ». Dans ce mot, on peut remarquer
le « beau », mais comme on le sait bien, la beauté comme telle ne
fait plus l’idéal dans les arts contemporains, y compris l’oeuvre joycienne. Et
cet escabeau est quelque chose qui permet à l’auteur de se rendre lui-même sublime
orgueilleusement.
Dans cet écrit,
essayons de lire cette phrase-ci (ibid.,
p.569) :
« Joyce est le premier à savoir bien
escaboter [ sous-entendu : escamoter avec son escabeau ] pour avoir porté
l’escabeau au degré de consistance logique où il le maintient
art-gueilleusement [ sous-entendu : orgueilleusement avec sa création
artistique ] ».
« Le
premier » ne veut pas dire, bien sur, le premier dans l’ordre
chronologique, mais le champion le plus éminent. Le verbe « escaboter /
escamoter » suggère que la création artistique n’est qu’une fiction, mais
si c’est une fiction, c’est dans la mesure où la vérité « s’avère dans une
structure de fiction » (Écrits, p.742). L’expression :
« porter l’escabeau au degré de consistance logique » nous rappelle cette
formule célèbre du Séminaire VII : « la sublimation élève un objet à la
dignité de la Chose ». Pourtant il ne s’agit plus maintenant de la dignité
de la Chose impossible qui ne cesse pas de ne pas s’écrire, mais du degré ou du
grade de la consistance logique (« logique » au sens de ce qui se
rapporte au λόγος héraclitien, c’est-à-dire la Lichtung
heideggérienne) de la lettre qui ne cesse pas de s’écrire dans un Wiederholungszwang.
Ainsi, même si c’est pour le Séminaire sur Joyce
que Lacan nous fait remarquer cette équivoque de « sinthome » et de
« saint homme », son jugement final est ceci :
« Joyce
n’est pas un Saint » (Autres écrits,
p.566) ;
« il
n’est pas un saint homme tout simple, mais le symptôme ptypé [
sous-entendu : sin-p-thome typé ] » (ibid.,
p.567).
Pourquoi ? Parce que :
« il
joyce [ sous-entendu : rejoice, se réjouir ] trop de l’SKbeau [ es-ca-beau
] pour ça, il a de son art art-gueil jusqu’à plus soif » (ibid., p.566).
Qu’est-ce que cela veut dire ? Ceci :
« Que
Joyce ait joui d’écrire Finnegans Wake,
ça se sent » (ibid.,
p.570).
4. Le saint
Par contre, de ce
qui caractériserait un psychanalyste tel qu’il aurait atteint la fin de sa
propre expérience analytique, Lacan dit ceci :
« on ne saurait mieux le situer
objectivement que de ce qui dans le passé s’est appelé : être un
saint » (Autres écrits, p.519).
Et la définition
lacanienne de la sainteté est ceci :
« le saint est le rebut de la
jouissance » (ibid., p.520).
Bien qu’on aimât ce calembour d’ « a letter, a litter » [ une lettre, une ordure ] dans le cénacle de Joyce
(cf. Écrits, p.25), le contraste entre le saint et l’artiste est
évident : le rebut ou le
déchet de la jouissance est le contraire du sublime glorieux de l’escabeau littéraire,
tout comme l’humilité du saint est le contraire de l’orgueil de l’auteur qui veut
qu’on s’affaire de son oeuvre durant 300 ans.
Si Joyce n’est
pas un saint, c’est bien à cause de trop de jouissance que lui rend sa création
artistique. Quoique Lacan dise que Joyce est allé « tout droit au mieux de
ce qu’on peut attendre de la psychanalyse à sa fin » (Autres écrits, p.11), la fin de l’analyse ne peut pas être joycienne.
Au contraire de
Joyce, le saint est le rebut de la jouissance.
Les mots « rebut » ou
« déchet » désignent ce qui reste de méprisable à la suite d’un refus
ou d’un rejet. Lacan dit aussi « caput mortuum » (Écrits, p.50), lequel est dans son sens propre
un symbole de la mort.
Où ce rebut ou ce
déchet restent-ils ? A la place du plus-de-jouir de l’objet a.
5. L’aspect formel
de la sublimation
Alors il nous faut nous demander ce qu’il en est
de cette place même du plus-de-jouir dans la structure topologique que Lacan
nous enseigne comme le fondement pur
de la psychanalyse.
Ici, nous
arrivons à l’aspect formel de la
sublimation, c’est-à-dire l’amour pur
qui consiste à « donner ce qu’on n’a pas ».
Si nous pouvons et
devons nous interroger sur le « formel » de la sublimation, c’est
parce que dans la dernière séance du Séminaire VI (1er juillet 1959) Lacan
dit ceci :
la sublimation est à « définir comme
la forme même dans laquelle se coule
le désir » ;
la sublimation « peut se vider de la
pulsion sexuelle en tant que telle, ou plus exactement que la notion même de
pulsion, loin de se confondre avec la substance de la relation sexuelle, c’est
cette forme même qu’elle est : jeu du
signifiant. Fondamentalement elle peut se réduire à ce pur jeu du signifiant. Et c’est bien aussi comme tel que nous
pouvons définir la sublimation ».
Lisons encore un
peu la suite :
la sublimation « est ce quelque chose
par quoi peuvent s’équivaloir le désir et la lettre, si pour autant ici nous
pouvons voir, en un point aussi paradoxal que la perversion ‒ c’est-à-dire, sous sa forme la plus
générale, ce qui dans l’être humain résiste à toute normalisation ‒, se produire ce discours [ de la
sublimation ], cette apparente élaboration à vide que nous appelons sublimation » ;
« La
sublimation comme telle, c’est-à-dire au niveau du sujet logique, est-ce où se
déroule, où s'instaure, où s’institue tout ce travail qui est à proprement parler
le travail créateur dans l’ordre du λόγος [ héraclitien ] ».
Nous pouvons voir
là que Lacan essaie à mettre en question la sublimation et aussi bien la
pulsion ‒ puisque
Freud compte la sublimation parmi les destins possibles de la pulsion ‒ à partir de ce qui serait la condition structurale
de la possibilité du désir inconscient en tant que métonymie du manque-à-être
du sujet de l’inconscient.
Et Lacan situe la
sublimation exactement à la localité du plus-de-jouir prégénital et pervers, comme
quelque chose à la fois d’au-delà et d’a
priori de la jouissance perverse.
Cet a priori
de la perversion qui consiste en « ce qui dans l’être humain résiste à
toute normalisation » de sorte que toute jouissance possible serait vouée
à être perverse, qu’est-ce-que c’est ? ‒ sinon ce trou central et
fondamental qui est béant dans le lieu de l’Autre et qui est fait par le
manque du « il n’y a pas de rapport sexuel » ‒ ce dont Lacan dira dans la séance du 11 avril 1978 de son séminaire XXV Le moment de conclure ceci :
« qu’il n’y ait pas de
rapport sexuel, c’est le fondement de la psychanalyse ».
Ce que Lacan appelle lettre, cela fait le littoral (cf.
Lituraterre), c’est-à-dire le bord de
ce trou fondamental.
Et le mathème S(Ⱥ), le « signifiant du manque dans [
le lieu de ] l’Autre » (Écrits, p.818), désigne ce bord.
Le « pur jeu du signifiant » se déroule
et se répète en Wiederholungszwang à
la place de ce bord.
6. La structure apophatico-ontologique du parlêtre et sa
topologie
L’ensemble de la
topologie du cross cap, de la
formalisation des quatre discours et de la topologie du noeud borroméen
représente tous les efforts que Lacan fait pour que nous puissions toucher du
doigt la structure topologique du parlêtre, lequel est structuré comme un langage
par la coupure fondamentale qui sépare le lieu de l’Autre en tant que trésor
des signifiants et la localité du $ [
le sujet barré ]. Il faut encore y ajouter le bord de la coupure et le trou
fait dans le lieu de l’Autre par cette coupure.
Ainsi, la
structure lacanienne du parlêtre est essentiellement tétradique : le bord
de la coupure, le trou déterminé et supporté par ce bord, le lieu consistant de
l’Autre qui porte ce trou, et la localité ex-sistente de l’être [ l’être
barré ] du $
[ le sujet barré ].
La correspondance entre la triade du symbolique,
de l’imaginaire et du réel et cette structure tétradique est selon l’indication
que Lacan nous donne dans son Séminaire R.S.I.
(1974-1975), ceci :
le trou : l’ordre
du symbolique ;
le lieu de
l’Autre en tant que trésor des signifiants, le lieu de consistance : l’ordre
de l’imaginaire ;
la localité ex-sistente
de l’être du sujet, la localité d’ex-sistence : l’ordre du réel (pour
autant que « le réel, c’est l’impossible » et que « l’impossible,
c’est ce qui ne cesse pas de ne pas s’écrire ». Par contre, quand Lacan
dit dans la séance du 10 janvier 1978 que « le réel ne cesse pas de
s’écrire », ce réel en tant que nécessaire est le réel du symptôme qui se
répète en Wiederholungszwang à la
place du bord du trou).
Ce qui fait le
crucial de la structure, c’est le bord de la coupure qui à la fois sépare et
lie le lieu de l’Autre et la localité du sujet, et qui soutient aussi le trou du
symbolique. Cet élément de la structure, nous pourrions l’appeler nodalité borroméenne ou tout simplement nodalité selon la terminologie de Lacan
dans ses Séminaires XXI (1973-1974) et XXII (1974-1975). Le bord du trou est
donc le bord nodal pour que la
structure tienne ensemble comme telle.
Voyons tout cela
dans les figures du cross cap et dans
la structure des quatre discours.
Le cross cap est une des manières possibles
de l’immersion du plan projectif dans l’espace euclidien de dimension 3
On peut couper le cross cap en deux surfaces : la
surface (bleu) qui est homéomorphe au disc et la surface (rouge) homéomorphe à
la bande de Möbius
Le cross cap peut être formé par l’identification du bord de la sphère
trouée (bleu) qui est homéomorphe au disc, et du bord (vert) de la bande de
Möbius (rouge)
7. L’aliénation et le discours de l’université
Or, le principe
est que le sujet est aliéné dans son identification à des signifiants autres
que lui-même. C’est-à-dire, en principe, nous sommes dans la structure de
l’aliénation. Cette structure apophatico-ontologique de base correspond au
discours de l’université.
Car l’aliénation
consiste dans la division entre le savoir S2
et la vérité (cf. le Séminaire
XIII) ‒ le
savoir S2 qui se situe dans le lieu de l’Autre en tant que trésor
des signifiants, et la vérité de l’être du sujet $ qui se situe dans la localité séparée du lieu de l’Autre et ex-sistente
à celui-ci.
Ce que Lacan
appelle « insistance de la chaîne signifiante » (Écrits, p.11) en tant que principe du Wiederholungszwang,
se situe à ce bord nodal S(Ⱥ) qui est bien « corrélatif de l’ex-sistence où il nous faut situer le
sujet de l’inconscient » (ibid.).
Cette chaîne
signifiante insistante consiste dans l’objet a en tant que plus-de-jouir qui ne cesse pas de s’écrire en Wiederholungszwang comme signifiant ou
signe du symptôme à la localité du bord.
Dans
l’expression : « le réel du symptôme », ce réel est le
nécessaire de ce qui ne cesse pas de s’écrire. Comme nous l’avons déjà noté
plus haut, il ne faut pas le confondre avec le réel en tant que l’impossible
qui ne cesse pas de ne pas s’écrire.
8. Le passage du discours de l’université dans le
discours de l’analyste
La psychanalyse
comporte le passage du discours de l’université dans le discours de l’analyste ‒ ce passage que Lacan appelle
« progrès » entre guillemets :
Qu’est-ce qui se
passe dans ce passage du discours de l’université dans le discours de
l’analyste au cours de l’expérience psychanalytique ? :
le petit a qu’incarne l’analyste dans le
transfert où il assume d’être le signifiant du symptôme, passe dans la place
de l’agent destituable, c’est-à-dire, le signifiant du symptôme répété
indéfiniment et compulsivement peut maintenant cesser de s’écrire ;
le S2 qui
prétend être le savoir absolu, passe dans le trou où il est maintenant
nullifié ;
le $ qui se cache dans la localité
d’ex-sistence apparaît maintenant dans la localité du bord nodal S(Ⱥ). C’est le moment phénoménologique
décisif où l’être se manifeste ‒ dans la terminologie heideggérienne, l’être s’approprie, das Seyn ereignet sich ‒ comme le désir de l’analyste que va
devenir l’analysant ;
le S1
passe dans la localité d’ex-sistence où il est Dieu le Père ex-sistent dans sa
dignité de l’être et qui ne cesse pas de ne pas s’écrire, tout comme le
tétragrammaton ne cesse pas de ne pas se prononcer.
Il n’est plus le Dieu des philosophes et des
savants, mais le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob.
Lacan dit aussi qu’ « il ne peut y avoir de
vraiment athées que les théologiens » (la séance du 16 janvier 1973).
Nous pouvons citer aussi un passage de Heidegger
dans son onto-theo-logische Verfassung
der Metaphysik (GA 11, p.77) :
« la
causa sui, c’est le nom convenable de
Dieu dans la philosophie. Ce Dieu, on ne peut pas le prier, ni lui offrir un
sacrifice. Devant la causa sui, on ne
peut pas s’agenouiller de crainte, ni faire de la musique ou danser pour ce
Dieu-là.
« En conséquence, la pensée sans Dieu
qui doit abandonner le Dieu des philosophes et le Dieu en tant que causa sui, est peut-être plus proche du
Dieu divin. Ce qui veut dire ici seulement ceci : elle est plus libre pour
Lui que l’onto-théo-logique voudrait se le croire. »
Si Lacan dit
qu’il ne peut pas se passer de Son existence [ ex-sistence ] (cf. la séance du 20 février 1973), le
Dieu auquel il pense, ne serait-il pas ce Dieu ex-sistent et impossible ?
9. Le S(Ⱥ) et la sublimation
Lacan nous explique par son graphe du désir que le
processus dialectique de l’expérience psychanalytique consiste dans la
désaliénation et la désidentification du manque-à-être du sujet $ par rapport à l’Autre, qui aboutissent
à la chute ‒ ou
l’usure, le rejet, le refus, etc. ‒ du plus-de-jouir de l’objet a
pour que le sujet $ en tant que désir
atteigne à la sublimation à la place du bord nodal formalisé par le S(Ⱥ) : ce « point où toute chaîne
signifiante s’honore à boucler sa signification » (Écrits, p.818), et ce dont Lacan dit que
« le terme de l’analyse est ce que j’ai inscrit dans le symbole S(Ⱥ) » (la séance du 16 juin 1965).
A ce moment-là,
cette signification de l’être et du désir $ jusqu’ici forclose et cachée dans la localité ex-sistente apparaît
dans le réel (en tant que ce qui ne cesse pas de s’écrire) au bord nodal S(Ⱥ).
C’est le moment
de la sublimation du désir en tant que fin de l’analyse. Maintenant l’objet a est rejeté pour être remplacé par l’être
même du sujet $ ‒ ce serait ce que voudrait dire la formule
que par la sublimation l’objet a est élevé
à la dignité de la Chose impossible. Le désir $ et la lettre en tant que littoral S(Ⱥ) s’équivalent. Et on ne cède plus sur son
désir $ qui se maintient ouvert sans aucun
plus-de-jour trompeur de l’objet a.
Et, en même temps, le
S(Ⱥ)
est « le signifiant pour quoi tous les autres signifiants représentent le
sujet : c’est-à-dire que faute de ce signifiant, tous les autres ne
représenteraient rien » (Écrits,
p.819), c’est-à-dire le S(Ⱥ)
est une condition de la possibilité du parlêtre, pour autant qu’il est le bord
de la coupure apophatico-ontologique qui sépare l’ordre de l’imaginaire de
celui du réel et qu’il est aussi le bord qui soutient le trou du symbolique.
Si Lacan voit dans la
sublimation à la fois l’a priori de
l’analyse et sa fin, c’est en tant que le mathème S(Ⱥ) peut la formaliser.
Enfin, la question se
pose de savoir si on peut dire vraiment que la sublimation est une jouissance.
La réponse semble être oui, pour autant que Lacan dit dans la séance du 13 mars
1963 du Séminaire L’angoisse que « l’amour
est la sublimation du désir » et que « seul l’amour-sublimation
permet à la jouissance de condescendre au désir ».
Donc nous pouvons
dire que l’amour est la jouissance au-delà de toute jouissance et que l’amour
est l’alpha et l’oméga de la psychanalyse, tout comme l’amour de Dieu est
l’alpha et l’oméga de la Création.
Bien sur, il y a
amour et amour. Dans la sublimation, il ne s’agit pas de l’amour en tant que Verliebtheit, ni de l’amour que Lacan
met ensemble avec la haine et l’ignorance. Cette triade d’amour, de haine et
d’ignorance est ce qu’on appelle « trois poisons » dans le bouddhisme,
lesquels empêcheraient le réveil bouddhique (Bodhi). Cet amour-ci pourrait être
appelé plus convenablement convoitise.
à
Tokyo, le 4 février 2018
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