Du désir aliéné au désir sublimé ‒ la dialectique psychanalytique du désir et le graphe du désir dans l’enseignement de Lacan
Luc S. Ogasawara
Le
graphe du désir que Lacan commence à élaborer dans son Séminaire V Les formations de l’inconscient
(1957-1958) nous fascine dans sa complexité énigmatique. Le suivre dans toutes les étapes de sa
construction et le déchiffrer dans toutes ses significations et ses
implications seraient une tâche qui nous déborde largement pour le moment.
Nous essayons ici
seulement à y lire une formalisation de la dialectique psychanalytique du désir
qui part du désir aliéné pour aboutir au désir sublimé, pour autant que nous sommes
d’abord et en général dans ce que Lacan appelle aliénation et que la fin de l’analyse
consiste dans la sublimation du désir.
Au départ de la
construction du graphe, Lacan dit : « Voici ce qu’on pourrait dire en
être la cellule élémentaire (cf. graphe
1). S’y articule ce que nous avons appelé le point de capiton par quoi le
signifiant arrête le glissement autrement indéfini de la signification » (Écrits, p.805).
Comment est-ce
que dans la structure du langage, le signifiant et le signifié (autrement dit la
signification, die Bedeutung), séparés
l’un de l’autre par la coupure structurale originaire, peuvent être néanmoins liés
l’un à l’autre, sans se dissocier complètement l’un de l’autre ?
Cette question qui
concerne la condition de la possibilité de la structure même du parlêtre, est
une des questions centrales de l’enseignement de Lacan qui, pour y répondre, va
du point de capiton et du Nom-du-Père jusqu’au noeud borroméen.
Dans ce graphe le
plus élémentaire aussi, où le vecteur S→S’ représente la chaîne signifiante et le vecteur Δ→$ sa Bedeutung
qui est le sujet $ en tant que désir
inconscient dans son glissement métonymique sous la chaîne signifiante, la
question se pose de savoir comment ces deux vecteurs séparés ne se dissocient
pas l’un de l’autre.
Et Lacan en
suggère la réponse en disant qu’au point de S(Ⱥ) dans le graphe complet, « toute
chaîne signifiante s’honore à boucler sa signification » (Écrits, p.818), ce qui voudrait dire que le
glissement métonymique du désir $ sous
la chaîne signifiante sera arrêté au S(Ⱥ) où se trouve la jouissance du désir sublimé.
Voyons de plus près la structure de l’aliénation
où la Bedeutung du sujet de l’inconscient
$ glisse sous la chaîne signifiante dans
son insistance de Wiederholungszwang.
C’est-à-dire, nous
avons d’une part, la chaîne insistante du signifiant du plus-de-jouir a qui se répète et qui ne cesse pas de s’écrire
en Wiederholungszwang au bord nodal (vert)
‒ non pas au lieu de l’Autre
(bleu) en tant que trésor de signifiants ‒, et d’autre part, le glissement impossible à inhiber et à détruire (unhemmbar und unzerstörbar) de la Bedeutung du sujet $ qui se situe dans la localité ex-sistente de l’être (rouge).
L’insistance du plus-de-jouir
a et le glissement du sujet $ sont ainsi corrélatifs l’un à l’autre.
Cette structure qui
se trouve dans la partie droite du discours de l’université a / $
est celle des formations de l’inconscient (y compris le symptôme) et du désir
aliéné.
Le plus-de-jouir a prégénital et pervers ne cesse pas de
se répéter et de se multiplier, puisqu’il ne peut jamais satisfaire le désir aliéné
$.
D’ailleurs, la
satisfaction en est impossible, puisqu’il n’y a pas de rapport sexuel génital.
Ainsi le désir
aliéné $ ne cesse pas de glisser et
de se déplacer d’un plus-de-jouir à un autre pour chercher en vain la satisfaction
impossible.
Cette structure
de l’aliénation qui implique l’insistance répétitive du plus-de-jouir a et, en corrélation avec elle, le
glissement indéfini du désir aliéné $,
et qui est la structure du discours de l’université, se transforme dans la
psychanalyse par son « progrès » dans la structure du discours de l’analyste.
Le sujet $ qui passe de la localité d’ex-sistence
(rouge) dans la localité du bord nodal S(Ⱥ) (vert), est séparé maintenant de son signifiant aliénant a, et il en sera libéré complètement au
moment de la fin de l’analyse.
La sublimation
consiste dans cette libération ‒ qui se passera au bord nodal S(Ⱥ) ‒ du désir
aliéné $ de son plus-de-jouir
aliénant a.
Ainsi, l’insistance
répétitive du plus-de-jouir a et le
glissement indéfini du désir aliéné $
sont abolis tous les deux par cette transformation structurelle induite par ce
quart de tour du discours de l’université dans le discours de l’analyste.
Nous pouvons remarquer
maintenant plus clairement dans le graphe du désir le passage du $ dans le S(Ⱥ) :
Le manque-à-être
du sujet $ s’aliène soit par l’image
spéculaire i(a) au moi m, soit par le
lieu de l’Autre à l’idéal du moi I(A), soit par le signifiant du plus-de-jouir a au symptôme a / $.
Dans la
psychanalyse, le sujet éprouve l’angoisse devant le trou (ou la coupure) qui
est formalisé par le mathème ($◊D) et
qui se manifeste comme tel au moment de la séparation du désir aliéné $ du
signifiant aliénant de la demande (le petit a).
Et par là, il passe dans la sublimation S(Ⱥ).
Le $ qui se situe à la localité du bord
nodal S(Ⱥ) (vert)
dans le discours de l’analyste, formalise donc le désir sublimé, séparé du
plus-de-jouir aliénant et qui peut avoir du courage pour ne pas céder sous l’angoisse
devant le trou ouvert de l’inconscient.
Ce désir sublimé
est ce que Lacan appelle désir de l’analyste.
à Tokyo, le 21 février 2018
0 件のコメント:
コメントを投稿