2015年7月30日

Entretien avec Jacques-Alain Miller, paru dans LE MONDE DES LIVRES | 12.04.2001

La plupart des intellectuels comme de larges pans du public cultivé avaient lu les Ecrits à l’époque de leur parution. Aujourd’hui, le contexte est différent. Selon vous, qui lira ces Autres écrits ?

Il n’est pas si sûr qu’on ait tant lu les Ecrits à l’époque. On les a achetés, c’est différent. On lit bien davantage Lacan aujourd’hui, et j’y suis pour quelque chose. Les Autres écrits toucheront d’abord, je le crois, la « génération de 1968 ». D’autre part, il n’est pas un analyste qui ne voudra lire ou relire ces textes de Lacan, puisque personne ne l’a supplanté. Et puis ce livre s’adresse aussi à tout le monde, et là, c’est une bouteille à la mer : impossible de savoir à l’avance qui va rencontrer ce volume. C’est ce qui fait l’intérêt du moment. L’occasion du centenaire donne à ces Autres écrits une trouée vers le public, alors qu’en temps ordinaire ce serait obstrué. Lacan pensait qu’au moment où la psychanalyse aurait rendu les armes devant les impasses de la civilisation, on se reporterait à ses écrits. C’est peut-être une raison pour penser que ces Autres écrits viennent à leur heure.

Vingt ans après sa mort, nous ne disposons toujours pas du corpus lacanien dans son ensemble. Faut-il analyser ce délai comme une résistance du discours lacanien lui-même à faire « œuvre » ?

Oui, le « corpus » lacanien ! Eh bien, il remue encore ! Plus profondément, je crois qu’il y a quelque chose de Lacan et de la psychanalyse elle-même qui reste en souffrance, qui n’a pas trouvé sa destination. Et cet « en souffrance » trouve à s’exprimer par exemple dans la sommation que les Séminaires soient tous publiés, et fissa, comme dit le juge de Plantu, ce qui leur donne un petit air de « lettre volée ». Ses Séminaires ont longtemps embarrassé Lacan, il les a laissés vingt ans sans en autoriser aucune publication, et on aurait pu imaginer qu’ils soient divulgués comme des documents d’archives. Nombre de ses élèves s’y sont cassé les dents, c’est ma façon de faire qu’il a aimée, celle que j’ai inventée pour répondre à son défi. J’aurais été ravi de le convaincre d’en distribuer le labeur, mais il n’y a rien eu à faire ! Il m’a voulu pour coauteur, il m’en a donné le statut. Il faut donc penser que ce n’était pas son idée qu’on en finisse si vite.

Au reste, vous n’avez pas un corpus, vous en avez plusieurs ! Le signifiant a ses voies propres. Vous savez bien que l’on pirate, que des sténographies, des notes, circulent dans de multiples versions. Loin de le déplorer, j’y applaudis, tant que cela reste d’ordre scientifique. Et dès lors qu’il n’y a pas d’acte de commerce, pas de dépôt légal, et que cela permet aux chercheurs de s’y reporter, vous remarquerez que Le Seuil n’intervient pas. Il reste que, conformément aux dispositions prises par Lacan, il y a un seul éditeur, un seul contrat d’édition, une seule publication autorisée. Il suffit que chacun connaisse son registre.

Aujourd’hui, d’ailleurs, beaucoup de jeunes praticiens se disent d’abord analystes avant de se dire « freudiens » ou « lacaniens ». Après des années de violence autour du nom de Lacan, va-t-on vers une pacification ?

Dans quelques jours, dans cette capitale de la psychanalyse qu’est Buenos Aires, se tiendra un grand colloque d’hommage à Lacan, où voisineront des représentants de l’Association mondiale de psychanalyse, que j’ai fondée, des membres de ce que j’appelle la « nébuleuse » lacanienne, et un ancien président de l’Association internationale de psychanalyse. C’est vous dire que la civilité a été rétablie. Du moins sous ces latitudes, car il faudra sans doute quelque temps pour que cela advienne ailleurs. Il y a des querelles qui datent, des anathèmes désuets, et il est bien possible que ces Autres écrits soient mieux reçus de jeunes qui n’ont pas été les élèves de Lacan que des anciens qui y revivront une partie de leur propre trajectoire, et où Lacan se manifeste non seulement comme leur maître mais comme leur fléau.

Vous-même, vous continuez de subir certaines critiques concernant les Séminaires, leurs délais de publication et surtout leur mode d’établissement.

Cette antienne dure depuis vingt ans. Les plus impatients de me voir rédiger les Séminaires au Seuil sont aussi les plus mécontents une fois qu’ils les ont ! En fait, il y a là, pour une part, une cabale des dévots, et puis une revendication éternisée que rien n’apaisera jamais, et qui s’adresse plus à Lacan qu’à moi-même. Je reste dans la même ligne, y compris dans le fait de livrer le texte nu, sans appareil critique. Ma façon de faire avait été saluée dans Le Monde en 1973 par un grand article d’Octave Mannoni, elle n’a pas changé depuis. Vous verrez paraître en juin la seconde édition corrigée d’un Séminaire (livre VIII : Le Transfert). La parole de Lacan garde une présence active, vivante, sa puissance est là, même si elle est plus secrète que jadis. L’heure n’est pas venue pour elle d’être réduite au statut de document. Les notes en bas de page attendront.

Propos recueillis par Jean Birnbaum.

以上は,Lacan の生誕100周年を記念するために彼の Autres écrits が2001年に出版された機会に為された Jacques-Alain Miller への Le Monde によるインタヴューです.

そこにおいて Jacques-Alain Miller が言及している Octave Mannoni の1973年のテクストは Le Monde の site に見つけることはできませんでした.代わりに,Le Monde で精神分析関係の記事の総責任者をしていた Roland Jaccard に宛てて Octave Mannoni が1981年12月9日付で書いた書簡を Jaccard が公開しているのを見つけました.そこにおいて Mannoni は,当時出版されたばかりの Le Séminaire III Les psychoses の Miller 版テクストに見出される多くの誤りを指摘しています.Miller は実際とは正反対のことを Lacan に言わせている,と Mannoni は批判しています.

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